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docteur edgar bérillon

Charles-Quint passait la plus grande partie de ses journées à manger. Ceux qui assistaient à l’un de ses repas étaient étonnés de la quantité d’aliments qu’il absorbait. D’ailleurs, il présentait au plus haut degré le prognathisme de la mâchoire inférieure, ce signe de dégénérescence, commun à tous les membres de la dynastie des Habsbourg, dans lequel se reconnaît la prédominance des appétits matériels les plus inférieurs.

En 1511, à l’occasion du mariage du duc Ulrich de Wurtemberg avec une princesse bavaroise, on organisa un festin dans lequel on mangea 136 bœufs, 1.800 veaux, 570 chapons, 1.200 poules, 2.759 grives, 11 tonnes de saumons, 90 tonnes de harengs, 120 livres de clous de girofle, 40 livres de safran, 200.000 œufs et 3.000 sacs de farine. Il fallut 15.000 tonneaux de vin pour étancher la soif de ces polyphages. Le menu de ce repas pantagruélique est enregistré par les chroniques du Wurtemberg comme un des faits les plus admirables de leur histoire.

Le maréchal de Grammont, interné comme prisonnier à Ingolstadt, en 1646, nous a transmis la relation des festins auxquels il fut convié par les Grands Électeurs. Nous savons par lui qu’aucune de ces réunions ne se terminait avant que tous les convives fussent ivres-morts. Les dîners duraient d’habitude sans discontinuer depuis midi jusqu’à neuf heures, au bruit des trompettes et des cymbales qu’on ne cessait d’avoir dans les oreilles.

Frédéric-le-Grand continue la série. Il faut voir le despote prussien pour juger de ce qu’un homme peut absorber sans éclater. Voici les termes dans lesquels M. G. Lenôtre nous décrit la fureur de son impulsion dévoratrice[1] :


Il avale, broie, ronge comme un fauve ; ses mains, sa bouche, ses joues sont inondées de sauce. Jamais il ne trouve assez épicés les mets qu’on lui sert : son cuisinier, las de reproches, a l’idée de saupoudrer les plats d’assa fœtida, et ce jour-là le roi se montre d’un appétit féroce. Il souffre d’horribles douleurs de goutte ; n’importe, il se bourre ; ses indigestions sont célèbres ; dès qu’il reprend ses sens, c’est pour réclamer de la victuaille, du pâté d’anguille ou de Périgueux. Car son affectation de mépris pour tout ce qui vient de France n’englobe ni nos friandises ni nos bons vins. Quand, à force de s’empiffrer, il est à la mort, il mange encore, et comment ! !

On possède un de ses menus du mois de juin 1786, alors que tordu par la goutte, gonflé par l’hydropisie, couvert depuis les pieds jusqu’aux hanches d’une inflammation érysipélateuse, il est à bout de forces et sans connaissance une partie du jour : d’abord une soupière de bouillon exprimé des choses les plus fortes et les plus chaudes, auquel il ajoute, comme à son habitude, une grande cuillerée de fleurs de muscade et de gingembre. Puis un morceau de bouilli à la « russe », c’est-à-dire cuit dans un pot d’eau-de-vie ; ensuite une grande assiette de « polenta » au jus d’ail, arrosée d’un bouillon d’épices ; enfin un pâté d’anguille si poivré qu’il paraît « avoir été cuit dans les enfers ». Frédéric prétend, d’ailleurs, qu’il ne mange que « pour se soutenir » et il

  1. G. Lenotre : La petite histoire : Prussiens d’hier et de toujours, 1916, p. 166.