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M.  ÉDOUARD SCHURÉ

l’histoire de tous les peuples, l’homme fort, aimant et libre, qui aspire dès cette vie à l’épanouissement complet de ses forces, de son amour et de sa liberté. »

Sainte-Beuve, qui aimait à distinguer les talents naissants, fit en 1869 entrer Édouard Schuré à la Revue des Deux Mondes. Il y débuta par un article sur Richard Wagner, qui fit d’autant plus de bruit qu’il contrastait entièrement avec les opinions musicales accréditées à la Revue. Malgré les beaux essais de Baudelaire et de Théophile Gautier, Richard Wagner était encore très mal connu et plus mal jugé en France. L’étude d’Édouard Schuré contribua puissamment à modifier l’opinion des lettrés sur le caractère de la réforme théâtrale entreprise par le poète compositeur.

La guerre de 1870 vint mettre une fin brusque à ce noble échange intellectuel entre les deux grandes nations. La Prusse militaire et bureaucratique avait pris le pas sur les États libéraux du Sud, elle aspirait à l’hégémonie. Bismarck la lui procura par une guerre savamment préparée. Le génie allemand des Gœthe et des Schiller fut étouffé par le génie prussien des Frédéric et des Moltke. Le dernier des Bonaparte, aveuglé par l’esprit dynastique, affaibli par la maladie, livra la France à une boucherie dès longtemps préméditée par les diplomates et les généraux du roi Guillaume. L’Allemagne prussifiée s’enivra brutalement du vin impérial de ses victoires. L’Alsace et la Lorraine furent l’enjeu d’une guerre où, de part et d’autre, les appétits dynastiques avaient trahi l’esprit national. On sait avec quel souverain mépris de la liberté humaine deux provinces furent