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esclave ou un tyran, et je n’ai jamais vu en elle qu’une amie que Dieu nous a donnée. La tendresse


    Pensent-ils même à moi qui pense à tous ?
    Oiseaux charmants, au souvenir volage,
    Tous sont épars, chacun dans son enclos.
        Nous n’avons plus le même ombrage,
            Plus les mêmes échos.

    Quand on songe que c’est Béranger qui se plaint ainsi, si délicatement, si tendrement, lui qui n’a besoin de personne, lui qui s’est toujours voué au bonheur d’autrui, on comprend que sa maxime sur l’amour et l’amitié n’est pas une maxime de théâtre, bonne à débiter, mais qui ne se pratique pas.

    L’amour n’a pu être pour Béranger, même en théorie, qu’une amitié charmante échangée entre les deux sexes. L’amour est autre chose encore ; mais il ne l’avilissait pas sans doute en disant :

    D’une amante faire une amie,
    Mes amis, ce n’est pas vieillir ;

    ni en écrivant, à la fin de sa vie : « J’ai toujours regardé la femme, non comme une épouse ou comme une maîtresse, ce qui n’est trop souvent qu’en faire une esclave ou un tyran, et je n’ai jamais vu en elle qu’une amie que Dieu nous a donnée. »

    Certes, c’est une noble chose que la passion, et il nous vient de Dieu, cet amour lyrique,

    Amour, fléau du monde, exécrable folie !

    Elle descend du ciel, cette étincelle d’une électricité superbe qui frappe au sein les plus vaillants, les plus sages, les plus cruels, comme elle a charmé ou désespéré les Sapho et les la Vallière ; elle est admirable encore, en ses jeux enfantins, la respectueuse religion de la faiblesse et de la beauté dont les chevaliers du moyen âge, au prix de leur sang, défendaient partout l’honneur. C’est l’amour qui a jeté dans le monde les plus beaux cris poétiques ; c’est l’amour qui a révélé à l’âme ce qu’il y a de plus délicieux dans la joie, ce qu’il y a de plus fier dans le courage, dans l’espérance de plus ardent, de plus gracieux dans le souvenir ; mais peut-être est-il utile qu’une voix s’élève, et, non plus