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heureuse. Je l’aurais été si Jary avait eu de la conduite. Il fit des dettes, perdit sa place, et je le vis un jour arriver, en me disant « Nanette, je pars pour l’Angleterre, où je vais me perfectionner dans mon état de palefrenier. — Et moi, m’écriai-je, comment vais-je faire pour vivre ? — Tiens, reprit-il, voilà un louis. Tu es économe ; vends notre mobilier ; retourne à Paris et travaille. Remarie-toi, si tu le veux. Je t’enverrai un acte mortuaire de Londres. » Il m’embrasse ; et le voilà parti, me laissant muette et étourdie. Je n’en ai depuis entendu parler.

« Nous autres pauvres gens, nous n’avons pas le temps de pleurer tout notre soûl : je me hâtai de revenir à Paris me loger dans une mansarde étroite où je me mis à travailler pour les couturières. Je n’avais pas encore accompli mes dix-huit ans ; la solitude me parut bien pénible. En travaillant, je chantais sans plaisir. Mes compagnes d’enfance étaient toutes dispersées : la crainte des mauvaises connaissances m’empêcha d’en faire de nouvelles. Il me semblait toujours que quelque ami dût me tomber du ciel.

« Dans la maison que j’habitais, vis-à-vis de l’étroite fenêtre de ma chambre, était une lucarne toute semblable. Un jour de printemps, j’y remarquai un jeune ouvrier tailleur, si assidu à l’ouvrage,