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sourd aux gémissements de mes semblables. Dans le grand nombre d’infortunés que je voyais alors, je fus assez heureux pour retrouver une vieille ouvrière qui m’avait vu naître. Son histoire, qui est celle de tant de femmes de cette classe, me paraît pouvoir se placer ici, bien qu’étrangère au récit de ma vie.

La mère Jary[1], quand je la retrouvai, n’avait pas moins de soixante-six ans. Les petits services que je lui rendis, même encore au temps où la pauvreté remplaça pour moi notre courte opulence, ceux qu’elle-même s’empressait de me rendre, soit en raccommodant mes vêtements usés, soit en mettant un peu d’ordre dans mon ménage de garçon, établirent entre nous une intimité qui dura jusqu’à sa mort. Un jour qu’elle rangeait ma chambre, je crus la voir pleurer.

« Qu’avez-vous, mère Jary ?

— Hélas ! ce sont mes vieux chagrins qui prennent le dessus. Excusez-moi.

— Asseyez-vous là, et causons de vos vieux chagrins. N’est-ce pas plutôt que votre loyer vous tracasse encore ? parlez je suis riche aujourd’hui.

— Non, mon enfant, ce n’est pas le loyer cette

  1. La mère Jary n’est pas un personnage imaginaire. Dans une lettre de Béranger à son père, lettre écrite le 1er frimaire an X (V. la Correspondance, t. I, p. 27), il y a ce post-scriptum : « Je voudrais que tu donnasses encore un petit écu à madame Jary pour ce que je lui dois. »