Page:Béranger - Ma biographie.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mes procédés, et je parvins à compter de tête avec une merveilleuse promptitude. Le malheur des temps entraînait mon père dans toute sorte de métiers. On sait avec quelle difficulté se faisaient alors les transactions et dans quels désordres les événements jetaient les affaires d’escompte et de banque. Mon père y vit une ressource dans sa détresse et un exercice pour son activité.

La dépréciation des assignats donnait une valeur énorme à l’argent ; nous empruntions à 2 1/2 pour 100, même à 3 pour 100 par mois, et nous avions encore du bénéfice. Enfant que j’étais, ce métier m’amusa d’abord, peut-être même à cause de l’intelligence que j’y déployais, à la grande admiration de mon père. L’amusement que j’y trouvais fut de courte durée, comme on le pense bien. J’en sus bientôt assez pour prendre en dégoût les opérations que nous faisions. Mon père, qu’éblouissait d’ailleurs l’accroissement de ces opérations, n’était ni avide ni défiant, et sa facile bonté en faisait le jouet du premier venu, qui savait gémir ou flatter. Je tâchai donc de lui démontrer qu’il ne convenait point à sa profession. Je n’en fus pas moins forcé bientôt moi-même, à dix-sept ans, de conduire seul ces affaires. Je venais de perdre ma mère[1], auprès de

  1. Le 17 nivôse de l’an V.