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pas, si jeune qu’on l’ait quittée ; mais, à l’instant de me séparer de ma tante, j’éprouvai un très-grand trouble. Les sages conseils qu’elle me donna en versant des larmes firent couler les miennes, et je ne cessai d’en répandre pendant tout le voyage, que la diligence, à cette époque de désordres, faisait en deux jours et demi. La prévoyance, cette qualité, j’allais presque dire ce défaut qui m’a rarement abandonné, semblait me donner à quinze ans le pressentiment des vicissitudes que j’allais courir. Je savais que mon père, malgré toute sa bonté, ne pourrait être un guide pour moi, et je me voyais obligé d’être homme de bonne heure. Or l’idée de devenir ce qu’on appelle un homme m’épouvantait, ce qui paraîtra fort extraordinaire et n’en est pas moins vrai. En voici une preuve singulière. Devenir et paraître homme me préoccupait si péniblement, qu’ayant entendu dire plus tard qu’en se faisant la barbe avec des ciseaux, on n’en avait jamais beaucoup, je ne me servis point de rasoir dans ma jeunesse ; ce n’est encore qu’avec des ciseaux que je me rase.

Quelles furent mes occupations à Paris ? Hélas ! je devins avec mon père un financier fort habile. La science du calcul se développa soudain chez moi, sans que je pusse m’astreindre pourtant aux règles enseignées. En tout travail il m’a fallu inventer