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amis les républicains la preuve la plus évidente de mon désintéressement dans le choix du parti que je les ai poussés à prendre. Tu sais d’ailleurs quel est mon amour d’indépendance. Le satisfaire, c’est être encore utile, ne fût-ce que par l’exemple que je donne d’un refus d’honneurs ou d’emplois, à l’instant où tout le monde se dispute la dépouille des vaincus. J’en sais quelque chose, parce que, comme on me suppose un crédit illimité, on m’accable de demandes et de sollicitations, au point que j’ai eu l’idée d’aller vous voir pour éviter la poursuite de tous les quêteurs de faveurs et de grâces. Ce projet me souriait, mais Dupont, que je vois si malheureux dans son poste de garde des sceaux, qu’il n’a accepté et qu’il ne garde qu’à notre prière, me supplie de ne pas m’éloigner de lui ; et nous avons un si grand besoin qu’il reste encore quelque temps dans cette haute fonction, que je n’ai pas cru devoir céder au désir que j’avais de vous aller embrasser. Ce n’est que partie remise, je l’espère.

« Tu me crois peut-être très-heureux dans la position que les derniers événements m’ont faite. Tu te trompes : je ne suis pas né pour être du parti du vainqueur. Les persécutions me vont mieux que le triomphe ; aussi ai-je été voir Chateaubriand, qu’une générosité mal entendue vient de plonger dans la misère : en refusant le serment à Louis-Philippe Ier, il perd le peu de revenu qui lui restait. Il voudrait même s’éloigner de France, bien qu’il admire notre révolution. Je fais tout ce que je puis pour le détourner d’un projet qui me semble déraisonnable ; mais je crains qu’il n’y persiste. Je suis affligé de voir une gloire de notre époque en proie à une fatalité politique aussi cruelle. On reparle encore de l’Académie pour moi, sans doute en désespoir de ne pouvoir faire autre chose de mon chétif individu ; mais j’ai de nouveau déclaré que je ne voulais pas de cette dignité littéraire, et j’espère qu’on me laissera