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Je n’en donnai pas moins bon nombre de mes chansons nouvelles à la Minerve, journal dont la vogue fut immense. Ses propriétaires, tous mes amis, voulurent me faire une part de leurs bénéfices ; mais je refusai[1], trouvant ridicule de faire payer à des amis des couplets qui m’amusaient tant à faire. Je ne raisonnais pas de même pour les chansons en volume, parce que le public était libre de ne pas les acheter. Il me fallut beaucoup de temps pour en compléter un second, n’ayant jamais fait plus de quinze ou seize chansons par an, quelques-unes en peu d’heures, et le plus grand nombre avec lenteur et souci ; encore toutes les années sont loin d’avoir été aussi abondantes. Je n’en fais qu’à mon caprice, et j’ai vu passer huit ou dix mois sans produire un seul vers, même au temps où je travaillais le plus. Aujourd’hui que l’arbre est vieux, les fruits deviennent de plus en plus rares. Et que ferai-je, quand ils viendront à manquer tout à fait ? Je mourrai sans doute.

Malgré la faiblesse de ma voix et mon ignorance musicale, je chantais souvent alors. Si, par nécessité de me faire des appuis dans la lutte que j’avais à soutenir, je m’étais d’abord astreint à vivre dans le monde, bientôt j’y portai l’entraînement qui m’est naturel et cette gaieté qui donne à l’esprit une valeur

  1. Voir dans la Correspondance (au tome I) la lettre des rédacteurs de la Minerve et la réponse de Béranger.