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que je me fus rendu compte de la nature de mes facultés et de l’indépendance littéraire que la chanson me procurerait, je pris mon parti résolument ; j’épousai la pauvre fille de joie, avec l’intention de la rendre digne d’être présentée dans les salons de notre aristocratie, sans la faire renoncer pourtant à ses anciennes connaissances, car il fallait qu’elle restât fille du peuple, de qui elle attendait sa dot. J’en ai été récompensé au delà du mérite de mes œuvres, qui eurent au moins celui de faire intervenir la poésie dans les débats politiques, pendant près de vingt ans. Le parti légitimiste, qui m’a toujours jugé, comme auteur, avec une extrême bienveillance, m’a accusé d’avoir contribué, plus que tout autre écrivain, au renversement de la dynastie que nous avait imposée l’étranger. Cette accusation, je l’accepte comme un honneur pour moi et comme une gloire pour la chanson. Pour la lui obtenir, on ne sait pas tous les obstacles que j’eus à vaincre. Combien de fois n’ai-je pas été obligé de lutter contre les chefs du parti libéral, gens qui eussent voulu me faire accepter leur tutelle, pour m’astreindre à leurs combinaisons timides !

J’en ai vu plusieurs m’abandonner au moment le plus pénible du combat : ils ne revenaient à moi que lorsqu’ils voyaient les applaudissements de la foule me rester fidèles. Je n’ai pas eu besoin de la