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pomme énorme, d’un vermillon appétissant, excitait surtout ma convoitise. Je la dévorais de mes yeux d’enfant, quand une rude voix vint me crier à l’oreille : « Prends la pomme ! prends ! ou je te donne une belle volée. » Ce n’était pas le serpent tentateur, c’était le terrible Grammont. Son poignet de fer me pressait contre la grille. Que se passa-t-il dans mon âme candide ? Je n’osais ; mais la frayeur, venant en aide à la gourmandise, triompha si bien, que cédant aux injonctions de mon ennemi, et sans respect de ma décoration nouvelle, j’étends la main en tremblant, et saisis furtivement la pomme fatale. Le crime est à peine consommé, que Grammont m’appréhende au collet, crie au voleur, et fait voir le corps du délit à toute la pension rassemblée. Quel scandale ! le modèle de la sagesse tombé dans une pareille faute ! On me conduisit devant les professeurs ; mais mon trouble était si grand, que je ne pus entendre quel arrêt fut porté. Sans doute la mauvaise réputation de l’accusateur, détesté des élèves et des maîtres, et quelques témoignages bienveillants éclairèrent la conscience des juges.

Toujours est-il certain qu’on me fit rendre la croix que d’abord Grammont m’avait arrachée. Je ne sais si c’est à cette scène, qui me coûta bien des larmes, que depuis j’ai dû mon aversion pour les pommes et mon peu de goût pour les croix.