Page:Béranger - Ma biographie.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que j’allais devenir fou. Enfin, la raison l’emporta : bientôt mon âme devint plus sereine, les accès de mélancolie disparurent ; je vis les hommes tels qu’ils sont, et l’indulgence commença à pénétrer dans toutes mes pensées. Depuis lors, ma gaieté, d’inégale et bruyante, devint calme, soutenue, et ne m’abandonna plus que quelquefois dans le monde, mais toujours pour venir m’attendre dans ma retraite ou auprès de mes amis, qu’elle consola souvent, ce qui m’a permis de dire qu’elle n’offensait pas la tristesse.

C’est alors aussi que je fis les plus grands efforts pour perfectionner mon style ; les idées m’ont rarement fait faute, bonnes ou mauvaises ; mais je n’apportais pas un soin aussi judicieux au choix de l’expression. Quand on n’a que soi pour maître, les

    voyages, non pas en Terre-Sainte, mais en Italie, terre sacrée des arts et presque aussi poétique que la Grèce. Je dis presque ; mais laissons ma philosophie et mes désirs. » (Lettres de 1811.)

    Entre les deux dates de 1809 et de 1811 plaçons encore ce fragment qui marque la marche de la pensée :

    « Je suis vraiment heureux. Mes prétentions en littérature se bornent à des chansons, ou du moins mes essais dans d’autres genres sont si secrets, que je suis absolument inconnu ; car je ne publie même pas les chansons, quelque éloge qu’elles me vaillent de mes amis et particulièrement de M. Arnault. Vous ne sauriez croire combien je trouve de douceur à mon obscurité. » Cette dernière phrase est à remarquer : elle explique la peine qu’eut plus tard Béranger à entrer dans le bruit et dans l’éclat de sa gloire. Attaché d’esprit et de cœur à une vie modeste, il ne contraignit jamais sa nature.