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pour un caractère qui m’est si bien connu. Désintéressé, sans ambition, son génie n’a pas même rêvé l’Académie ; il n’a jamais spéculé ni sur son talent, ni sur l’intérêt qu’il inspirait ; et quoique son cœur ne craigne pas le fardeau de la reconnaissance, il a pu refuser les offres de l’opulence, alors même qu’elles étaient dictées par la plus tendre amitié. Sachant dérober aux Muses le temps que beaucoup d’infortunes ont réclamé, et qu’elles n’ont pas réclamé en vain, il a pu faire dire à son âme :


Utile au pauvre, au riche sachant plaire,
Pour nourrir l’un, chez l’autre je quêtais,
J’ai fait du bien puisque j’en ai fait faire.
        Ah ! mon âme, je m’en doutais.


« Il est vrai que sa muse, fière et indépendante, dans ses inspirations patriotiques, a traité souvent le pouvoir sans indulgence. Messieurs, je ne pense pas que le génie ait été jeté au hasard sur la terre, et sans avoir une destination. Béranger a aussi la sienne ; il vous l’a dit : Je suis chansonnier. Fronder les abus, les vices, les ridicules ; faire chérir la tolérance, la véritable charité, la liberté, la patrie, voilà sa mission. S’il a signalé ce qui lui a paru dangereux, toutes les infortunes l’ont trouvé fidèle ; c’est pour lui surtout que le malheur a été sacré.

« On l’a accusé de bonapartisme. Messieurs, lorsque le colosse était encore debout, et avant que le sénat eût parlé, Béranger avait, dans son Roi d’Yvetot, critiqué cette terrible et longue guerre, qui aurait pu engloutir la France avec le chef de ses soldats. Béranger n’est certes pas un partisan des tyrannies de l’empire. Mais quand il a vu le lion renversé, insulté par ceux-là même qui rampaient à ses pieds, les vicissitudes de cette grande destinée ont ému son âme ;