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l’attrait de la poésie, à celui des hautes et profondes pensées, l’attrait piquant du fruit défendu.

C’est d’ailleurs une chose remarquable et qui ajoute beaucoup d’intérêt à la lecture des réquisitoires et des plaidoiries auxquels ces Procès donnèrent lieu, que le talent de Béranger ait été mieux apprécié dans l’enceinte des tribunaux que dans celle de l’Académie, à la cour d’assises qu’au milieu des cercles littéraires. Tandis qu’avec un esprit ingénieux, M. Dupin cherchait, pour le disculper, à faire descendre le poëte populaire du trépied sur lequel il s’était placé, en le représentant comme un chansonnier remarquable et spirituel, ou tout au plus comme un faiseur d’odes, l’avocat-général Marchangy replaçait Béranger à la haute position qu’il occupe, et, sûrement guidé par les appréhensions du pouvoir, montrait en lui l’homme politique, le caractère ferme et tenace, l’interprète de vœux hostiles au gouvernement d’alors, le vulgarisateur d’idées qui tendent à l’émancipation des classes inférieures et au renversement des digues qu’on veut lui opposer, un homme fort et profond, ayant une volonté et un but, jouissant d’une grande influence, ajoutant à la force de la pensée celle de la poésie, à l’autorité de la parole l’entraînement du chant, enfin une véritable puissance sociale.

Le peuple, qui avait commencé par répéter les couplets du Chansonnier, comme étant l’expression de ses anciens souvenirs, comprit, par les débats des tribunaux, que Béranger n’était pas seulement pour lui un remémorateur d’anciennes affections, un chantre d’espérances évanouies et de gloires passées, mais qu’il était encore un défenseur de ses opinions présentes et un héraut de ses vœux pour l’avenir. Il ne s’informa pas s’il prenait parti dans la question classique ou romantique, s’il était poëte philosophique à la manière d’Anacréon, à la façon d’Horace, ou simplement philosophe pratique,