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coule un sang que je prodigue à la voix de la patrie. C’est quand mon âme s’exalte qu’il faut me peindre. Alors je suis beau ; » et le peuple aurait raison de parler ainsi.

Tout ce qui appartient aux lettres et aux arts est sorti des classes inférieures, à peu d’exceptions près. Mais nous ressemblons tous à des parvenus désireux de faire oublier leur origine ; ou si nous voulons bien souffrir chez nous des portraits de famille, c’est à condition d’en faire des caricatures. Beau moyen de s’anoblir, vraiment ! les Chinois sont plus sages : ils anoblissent leurs aïeux.

Le plus grand poète des temps modernes, et peut-être de tous les temps, Napoléon, lorsqu’il se dégageait de l’imitation des anciennes formes monarchiques, jugeait le peuple ainsi que devraient le juger nos poètes et nos artistes. Il voulait, par exemple, que le spectacle des représentations gratis fût composé des chefs-d’œuvre de la scène française. Corneille et Molière en faisaient souvent les honneurs, et l’on a remarqué que jamais leurs pièces ne furent applaudies avec plus de discernement. Le grand homme avait appris de bonne heure, dans les camps et au milieu des troubles révolutionnaires, jusqu’à quel degré d’élévation peut atteindre l’instinct des masses, habilement remuées. On serait tenté de croire que c’est pour satisfaire à cet instinct qu’il a tant fatigué le monde. L’amour que