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éclairé de M. Bégule. Grâce à lui, les visiteurs saisiront plus vite les raisons de sa sévère beauté. C’est que Fontenay est de ces œuvres d’art qui ne se livrent pas du premier coup. Le monument a un sens presque mystérieux qui ne se révèle qu’aux yeux qui savent regarder longtemps. Devant ces choses, il faut faire oraison, comme disait Renan ; pour les deviner, il faut tâcher, ne serait-ce que pour un instant, de se mettre dans l’état d’esprit et de cœur de ceux qui, au xiie siècle, furent les fondateurs de l’Abbaye de Fontenay. Ils étaient de l’âge sublime de la vie monacale, de cette élite religieuse et humaine qui tint debout pendant plusieurs siècles la foi, la civilisation et l’intelligence. Ils étaient les fils directs du grand saint Bernard, dont il serait superflu de rappeler les invectives pieuses et les luttes contre les moines magnifiques de Cluny, pour exalter la pauvreté conventuelle et la gravité pure de l’art religieux. Ce grand saint disait qu’il ne voulait ni images, ni décor dans l’église « parce qu’on a plus de plaisir à lire sur le marbre que dans son livre et qu’on aime mieux passer le temps à l’admirer, tour à tour qu’à méditer sur la loi de Dieu ».

L’art véritable n’a jamais menti, surtout dans l’architecture, qui résume tous les arts, chaque fois qu’il a pu réfléchir et perpétuer un moment de l’âme et du sentiment, de quelque source qu’il provienne. L’art a toujours pu s’exprimer librement, lorsqu’il a eu quelque chose à dire. Ainsi pratiqué, l’art devient la seule histoire sincère de ces sentiments des hommes, qui ne se racontent pas dans les livres et qui expliquent tant de choses.

D’autres monuments sont plus grandioses, plus somptueux et agissent davantage sur les sens. Ce qui fait l’intérêt passionnant de l’Abbaye de Fontenay, ce par quoi elle touche l’âme, c’est qu’elle est l’expression de la volonté indomptable d’un saint ; elle dit avec force ce que signifie non pas le moine, mais un moine de Cîteaux vers 1130 ; elle raconte sa vie. Les murs et les cloîtres, à Fontenay, restent comme imprégnés de la prière et de l’œuvre des fils de saint Bernard. Trop d’églises forment des contre-sens religieux et arrivent parfois, par leur fadeur profane, à une sorte d’injure contre la prière. Fontenay évoque la foi intacte. Son architecture puissante se montre comme une fortification contre le monde, mais où l’on y garde cependant le lien avec le monde et avec l’homme par le travail. On sait que le travail était imposé aux moines par la règle de Cîteaux ; ils devaient travailler et apprendre le travail aux autres, en colonisant comme ils l’ont fait autour d’eux. C’est pourquoi, à Fontenay, l’abbaye se développe entre l’église, qui était la maison de prière,