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DISCOURS PRÉLIMINAIRE


C’est une erreur de croire que la mode ait quelque empire ſur les Sciences & les beaux Arts. Ce qui eſt certain ſatisfera toujours les hommes ſenſés ; & dans tous les tems les belles choſes plairont aux gens de goût. Nous diſons cette vérité pour prévenir le public que ce n’eſt pas l’accueil qu’on fait depuis plus d’un ſiécle aux Dictionnaires, qui a donné lieu à celui-ci. Ni les ſuffrages de la multitude, ni les railleries des critiques, ne dirigeront jamais nos compoſitions. Comme nous ne cherchons point l’éclat, & moins encore la fortune, en travaillant ſans faſte & dans le ſilence, mais l’utilité réelle du genre humain, nous n’avons d’autre méthode à ſuivre que celle que les vrais Sçavans ont jugé la plus convenable pour ſon inſtruction. Si avec de pareilles intentions nous manquons notre but, nous n’aurons point de reproche à nous faire ; & nous attendrons du tems & de notre aſſiduité à l’étude, des lumieres plus abondantes.

Après l’examen le plus ſévère des différentes manieres de développer les connoiſſances humaines, celle qui procede par ordre alphabétique a été eſtimée la meilleure. La facilité d’analyſer à chaque terme d’un art la matiere qui lui eſt propre ; d’enchaîner ou de lier les différens ſujets qui lui appartiennent, pour en faire ſentir la dépendance ; d’expoſer les découvertes les plus utiles, & les plus oppoſées, ſans craindre la confuſion ; de trouver aiſément ce qu’on ſouhaite, au moyen de cet arrangement : tout cela a fait une vive impreſſion ſur les eſprits qui ſçavent apprécier ces avantages. Un cri général s’eſt élevé en faveur de cette belle invention ; & ſi cet applaudiſſement pouvoit jamais ſe ralentir, il faudroit l’attribuer ou à la négligence & à l’incapacité de ceux qui auroient voulu en faire uſage, ou à l’abus qu’ils en auroient fait.

Nous voudrions pouvoir diſſimuler que les Dictionnaires ont éprouvé ce double malheur, parce que nous craignons de bleſſer la délicateſſe des auteurs qui n’ont point reſpecté celle du public, en décorant leur ouvrage d’un titre peu convenable à l’objet auquel il étoit adapté. Il n’y a, nous oſons le dire, point d’entrepriſe littéraire qui demande plus de ſagacité dans l’eſprit, plus de juſteſſe dans le diſcernement, plus de conſtance dans le travail. Jules-Ceſar Scaliger la trouvoit ſi forte qu’il croyoit qu’un homme de Lettres qui ſe ſeroit oublié juſques au point de mériter les galeres, ſeroit plus puni ſi on l’obligeoit de faire un Dictionnaire.[1]

En effet, la ſeule connoiſſance des termes ſuppoſe celle de l’art auquel ils ſont conſacrés. Leur définition exige une dialectique très-exacte, & une intelligence parfaite des matieres compriſes ſous ces termes. En ſe bornant là, un

  1. Lexica contextat ; nam cætera, quid moror ? omnes
    Pœnarum facies hic labor unum habet.
a ij