Page:Avezac-Lavigne - Diderot et la Société du baron d’Holbach, 1875.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ont accrédité cette version, — que Diderot aurait conseillé à Jean-Jacques de prendre parti pour la négative. Rousseau, au contraire, dit que c’est sous l’influence d’une inspiration soudaine et presque surnaturelle qu’il conçut son éloquent plaidoyer contre les sciences et les arts. En présence de ces deux récits contradictoires, et à défaut de renseignements plus positifs, nous pencherions à accorder plus de créance au dire de Rousseau. Il a été, dans la suite, assez souvent en proie à cette sorte d’hallucination, pour qu’on n’ait pas lieu de douter qu’il en a ressenti alors les premières atteintes. Mais nous savons maintenant d’une façon très-précise ce qui s’est passé dans l’entrevue de Diderot avec Rousseau. C’est Diderot qui raconte : « J’étais à Vincennes, quand l’Académie de Dijon proposa pour sujet de prix, si les sciences étaient plus nuisibles qu’utiles à la société. Rousseau vint m’y voir, et, par occasion, me demander conseil sur le parti qu’il prendrait dans cette question : il n’y a pas à balancer, lui dis-je, vous prendrez le parti que personne ne prendra. — Vous avez raison, me répondit-il ; et il travailla en conséquence. Faisons maintenant une supposition : ce n’est plus moi qui suis à Vincennes, c’est le citoyen de Genève. J’arrive. La question qu’il me fit, c’est moi qui la lui fait ; il me répond comme je lui répondis. Croyez-vous que j’aurais passé trois ou quatre mois à étayer de sophismes un mauvais paradoxe, que j’aurais donné à ces sophismes-là toute la couleur qu’il leur donna, et qu’ensuite je me serais fait un système