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d’autres, et le délai n’aurait pas de fin. Ainsi, mon brave ami, donnez-vous la peine d’entrer dans ma barque. » Mais j’insisterais : « Un peu de patience, mon bon Caron. J’ai pris à tâche d’éclairer le public et je voudrais vivre quelques années de plus pour avoir la satisfaction de voir disparaître les superstitions que j’ai combattues. » Mais Caron oubliant alors toute retenue : « Croyez-vous, traînard, que je vais vous attendre jusqu’à des événements qui ne sauraient arriver que dans plusieurs siècles. Allons, maraud, entrez dans ma barque[1]. »

» Bien que M. Hume parlât de sa fin prochaine en plaisantant, il était loin de faire parade de sa résignation. Il n’en parlait jamais que lorsqu’il y était amené par le cours de la conversation et sans s’y arrêter longtemps. L’entretien que je viens de raconter fut le dernier que j’eus avec lui. Je quittai Édimbourg et je reçus du docteur Black, le 26 août 1776, la nouvelle de sa mort.

» Ses opinions philosophiques pourront être diversement appréciées ; mais sur sa conduite et son caractère il n’y aura pas deux opinions. Je n’ai jamais connu de nature mieux équilibrée. Sa dou-

  1. Tous les hommes célèbres du dix-huitième siècle, le grand Frédéric, Voltaire, Diderot étaient persuadés de la chute plus ou moins prochaine du catholicisme. Dans ses Lettres persanes, Montesquieu assignait une date précise à cet événement : « J’ose le dire : dans l’état présent où est l’Europe, il n’est pas possible que la religion catholique y subsiste cinq cents ans. » Il faut lire en son entier cette lettre admirable. On y verra combien l’observation et la connaissance de la filiation des faits dans l’histoire, peuvent servir à la prévision des événements politiques. (Voir lettre 117.)