Page:Austen - Emma.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout en débitant avec un visage grave des réponses concises, il fut vite amené à parler des nouveaux arrivants sur un ton habituel : il finit par lui prendre l’enfant des bras de la façon la moins cérémonieuse. Emma sentit qu’ils étaient de nouveau amis ; cette conviction lui rendit toute sa confiance en elle-même. Elle ne put s’empêcher de faire allusion à leur récent malentendu et elle dit, pendant qu’il admirait l’enfant :

— Nos opinions sur les adultes diffèrent parfois essentiellement, mais j’ai remarqué que, quand il s’agit de nos neveux et nièces, nous sommes toujours d’accord.

— Si au lieu de subir le joug de la fantaisie et du caprice, vous vous laissiez guider par la nature dans vos jugements sur les hommes et les femmes, comme vous l’êtes quand il s’agit de ces enfants, nous aurions toujours la même manière de voir.

— Évidemment, nos désaccords ne peuvent provenir que de mon manque de jugement !

— Oui, répondit-il en souriant, et pour une bonne raison : j’avais seize ans quand vous êtes née.

— Je ne doute pas que votre jugement ne fût, à cette époque de notre vie, bien supérieur au mien ; mais ne pensez-vous pas que cette période de vingt-et-une années ait sensiblement modifié les coefficients de notre intelligence ?

— Certainement, elle les a rapprochés.

— Pas assez cependant pour que je puisse avoir raison contre vous ?

— Je garderai toujours une avance de seize années d’expérience ; j’ai de plus l’avantage de ne pas être une jolie femme et de n’avoir pas été un enfant gâté. Allons, ma chère Emma, soyons amis et n’en parlons plus. Dites à votre tante, petite Emma, qu’elle devrait vous donner un meilleur exemple que de réveiller de vieux griefs et que, si elle n’était pas dans son tort auparavant, elle l’est aujourd’hui.

— C’est juste, dit-elle, devenez meilleure que votre tante, ma petite Emma ; soyez plus intelligente et moins vaniteuse. Encore un mot, Monsieur Knightley, et j’ai fini : je me plais à