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fille, si ce n’était par opposition à M. Elton, comparaison qui tournait, bien entendu, tout à l’avantage de ce dernier.

Les projets d’Emma d’améliorer l’esprit de sa jeune amie par la lecture et la conversation sérieuse s’étaient réduits, jusqu’à présent, à parcourir quelques premiers chapitres, avec l’intention de continuer le lendemain. Il était beaucoup plus commode de causer que d’étudier, bien plus agréable de se laisser aller à édifier en imagination la fortune d’Harriet que de s’appliquer à élargir sa compréhension ou à l’exercer sur des faits précis. La seule occupation littéraire à laquelle s’adonnait Harriet consistait à transcrire toutes les charades qu’elle parvenait à recueillir sur un petit registre in-quarto qu’Emma avait orné d’initiales et de trophées.

Mlle Nash possédait une collection de plus de trois cents charades et Harriet, qui lui était redevable de l’idée première, ne désespérait pas d’atteindre un chiffre bien plus considérable. Emma l’aidait de son imagination, de sa mémoire et de son goût. De son côté Harriet avait une très jolie écriture de sorte que le recueil promettait d’être de premier ordre.

Emma s’empressa d’avoir recours à la collaboration de M. Elton ; elle eut le plaisir de le voir se mettre attentivement au travail : il s’appliquait surtout à ne choisir que des textes de la plus parfaite galanterie. Les deux amies lui furent redevables de deux ou trois de leurs meilleures charades et furent très désappointées de devoir confesser qu’elles avaient déjà copié la dernière qu’il récita. Emma lui dit :

— Vous devriez nous en écrire une vous-même, monsieur Elton : ce serait un sûr garant de sa nouveauté et rien ne vous serait plus facile.

M. Elton protesta ; il n’avait jamais cultivé ce genre de littérature. Il craignait que Mlle Woodhouse et, ajouta-t-il après une pause, ou Mlle Smith ne puissent l’inspirer.

(À suivre.)