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d’aucune façon : le refus qu’Harriet a opposé à Robert Martin est définitif. Il est possible qu’avant d’avoir vécu dans un milieu de gens comme il faut elle ait pu ne pas le trouver désagréable : c’était le frère de ses amies et il s’efforçait de lui plaire ; mais les circonstances ont changé et désormais seul un homme d’éducation et de bonnes manières peut prétendre plaire à Harriet Smith.

— Quels propos absurdes ! s’écria M. Knightley ; les manières de Robert Martin sont naturelles et agréables et il a plus de vraie noblesse d’esprit et de cœur qu’Harriet Smith n’est capable d’apprécier.

Emma ne répondit pas et s’efforça de prendre l’air indifférent ; en réalité elle commençait à se sentir mal à l’aise et désirait beaucoup clore l’entretien. Elle ne regrettait pas son intervention et continuait à se trouver meilleur juge sur une question de délicatesse féminine que son interlocuteur ; néanmoins comme elle était accoutumée à respecter l’opinion de M. Knightley, elle n’aimait pas se trouver en si flagrante contradiction avec lui. Quelques minutes se passèrent dans un silence pénible qu’Emma essaya de rompre en parlant du temps mais il parut ne pas entendre. Il méditait et finit par dire : « Robert Martin ne fait pas une grande perte, du moins s’il peut voir les choses sous leur vrai jour. Vos projets pour Harriet ne sont connus que de vous, mais, comme vous ne cachez pas votre goût pour combiner des mariages, il est naturel de supposer que vous avez dès à présent un plan et, en ma qualité d’ami, je dois vous dire que si vous avez M. Elton en vue, vous perdez votre peine. »

Emma se mit à rire en protestant contre ces allégations. Il continua :

— Elton est un charmant homme et un excellent vicaire, mais il n’est pas le moins du monde disposé à faire un mariage imprudent. Il se peut qu’il affecte un air sentimental dans ses discours, mais il n’en agira pas moins conformément à la raison. Il a tout