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Le pauvre M. Woodhouse ne soupçonnait guère le complot, tramé contre lui, par l’homme qu’il accueillait si cordialement ; il était très anxieux de savoir si M. Knightley n’avait pas pris froid en faisant la route à cheval par la pluie ; eût-il pu lire dans le cœur de son visiteur, il se fût sans doute fort peu inquiété des poumons ! Il fit part des nouvelles que M. Perry lui avait communiquées du ton le plus satisfait et le plus tranquille du monde sans nulle appréhension de celle que les deux jeunes gens auraient pu lui offrir en échange !

Pendant la nuit d’insomnie – c’était la rançon d’une telle journée – Emma s’aperçut que son bonheur n’était pas exempt de tout alliage : il restait deux sujets de préoccupation : son père et Henriette. Elle avait conscience de leurs titres. Relativement à son père toute hésitation eût été coupable : elle ne le quitterait jamais ! Elle se sentait émue à cette seule pensée. Aussi longtemps que M. Woodhouse vivrait, elle ne pourrait former qu’un engagement dans ces conditions : son père trouverait peut-être un réconfort à savoir sa fille fiancée. Au point de vue d’Henriette, la solution n’était pas si claire. Emma tenait à éviter à cette dernière toute peine inutile ; à apporter tous les adoucissements possibles à la déconvenue qui l’attendait. Finalement elle résolut d’annoncer à Henriette la cruelle nouvelle par lettre et de s’efforcer de la faire inviter à Brunswick square pour quelques semaines ; Isabelle, pendant son séjour à Hartfield, avait pris Henriette en amitié et Emma était sûre qu’un séjour à Londres serait un plaisir pour la jeune fille : celle-ci n’aurait sans doute pas le courage de refuser une invitation si agréable, et grâce à son heureux naturel, elle trouverait probablement un apaisement à son chagrin dans les multiples distractions de la capitale. De toute façon, Emma était heureuse de donner à son amie un témoignage d’amitié et de considération.

Emma se leva de bonne heure le lendemain matin et écrivit sa lettre à Henriette. Cette occupation la laissa un peu triste et préoccupée, et M. Knightley n’arriva pas un instant trop tôt ; une promenade d’une demi-heure avec lui dans le parc, pour refaire, au propre et au