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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

du 16 août 1910 [58]




EMMA


par Jane Austen


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Traduction de M. PIERRE DE PULIGA


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Emma se rendait bien compte que son injonction formelle de garder le silence avait dû enlever tout espoir à son interlocuteur ; d’autre part un aussi brusque changement de ton n’était pas naturel, mais M. Knightley eut la bonne grâce de ne demander aucune explication. Le malentendu qui avait présidé à leur conversation était du reste tout superficiel : les paroles étaient susceptibles d’une double interprétation, mais les sentiments conservaient toute leur sincérité : M. Knightley ne pouvait pas prêter à Emma une plus tendre affection ni des dispositions meilleures à son égard. En vérité, il avait toujours été ignorant de sa propre influence ; il était venu pour voir comment elle supportait la nouvelle des fiançailles de M. Frank Churchill, sans aucun but égoïste ; il désirait seulement, si elle lui en donnait l’occasion, lui dire quelques paroles de consolation et de réconfort ; l’aveu de ses véritables sentiments avait été spontané et provoqué par l’attitude d’Emma.

Dès le début de leur entretien, la ferme assurance qu’elle lui avait donnée de sa complète indifférence à l’égard de Frank Churchill lui avait fait espérer de pouvoir un jour se faire aimer lui-même, mais il ne songeait qu’à l’avenir. La réalité lui causa une surprise délicieuse : il avait déjà gagné l’affection qu’il aspirait à


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