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d’une grande perspicacité. Elle se rappela ce que M. Knightley lui avait dit, un jour, à propos de M. Elton, l’avertissement qu’il lui avait donné, la conviction qu’il avait manifestée concernant la prudence des idées matrimoniales de M Elton ; elle rougit en constatant combien il avait mieux pénétré ce caractère qu’elle n’avait su le faire elle-même ; elle se sentait cruellement mortifiée ; M. Elton lui apparaissait maintenant à beaucoup de points de vue exactement l’inverse de ce qu’elle avait imaginé et désiré qu’il fût : fat, présomptueux, vaniteux ; rempli du sentiment de sa propre importance et parfaitement indifférent aux sentiments des autres.

Contrairement à ce qui arrive d’habitude, la préférence qu’il lui marquait avait fait perdre à M. Elton tout son prestige : elle se souciait peu de son attachement et ses espoirs l’offensaient. Elle voyait clairement qu’il désirait se marier avantageusement et qu’ayant eu l’arrogance de lever les yeux vers elle, il avait fait semblant d’être amoureux ; elle était parfaitement tranquille que les souffrances qu’il endurerait n’étaient pas d’une nature à inspirer la sympathie. Rien dans son langage ni dans ses manières n’indiquait une sincère affection ; il n’avait épargné ni les soupirs, ni les belles paroles, mais il eut été difficile de choisir des expressions moins naturelles ou d’imaginer un ton de voix plus étranger au véritable amour. Elle n’avait pas besoin de se tourmenter à son sujet ; il voulait simplement s’élever et s’enrichir ; et puisque Mlle Woodhouse de Hartfield, l’héritière de sept cent cinquante mille francs n’était pas si facile à obtenir qu’il l’avait imaginé, il ne tarderait pas à jeter son dévolu sur n’importe quelle jeune fille ayant de cinq à deux cent mille francs.

(À suivre.)