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LA CITÉ DE DIEU.


de lui ce qu’il lui voue. « Et il a béni les années du juste », afin, sans doute, qu’il vive sans fin avec celui à qui il est dit : « Vos années ne finiront point[1]». Là, les années demeurent fixes, au lieu qu’ici elles passent, ou plutôt elles périssent. Elles ne sont pas avant qu’elles viennent, et quand elles sont venues, elles ne sont plus, parce qu’elles viennent en s’écoulant. Des deux choses exprimées en ces paroles : « Il donne à qui fait un vœu de quoi le faire, et il a béni les années du juste », nous faisons l’une et nous recevons l’autre ; mais on ne reçoit celle-ci de sa bonté que lorsqu’on a fait la première par sa grâce, « attendu que l’homme n’est pas fort par sa propre force ». « Le Seigneur a désarmera son adversaire », c’est-à-dire l’envieux qui veut empêcher un homme d’accomplir son vœu. Comme l’expression est équivoque, l’on pourrait entendre par son adversaire l’adversaire de Dieu. Véritablement, lorsque Dieu commence à nous posséder, notre adversaire devient le sien, et nous le surmontons, mais non pas par nos propres forces, car ce que l’homme a de forces ne vient pas de lui. « Le Seigneur donc désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint », afin que cet adversaire soit vaincu par les saints que le Seigneur, qui est le saint des saints, a faits saints.

Ainsi, « que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui veut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de faire justice au milieu de la terre ». Ce n’est pas peu connaître Dieu, que de savoir que la connaissance qu’on en a est un don de sa grâce. Aussi bien, « qu’avez-vous, dit l’Apôtre, que vous n’ayez point reçu ? Et si vous l’avez reçu, pourquoi vous glorifiez-vous, comme si l’on ne vous l’eût point donné[2]? » c’est-à-dire comme si vous le teniez de vous-même. Or, celui-là pratique la justice qui vit bien, et celui-là vit bien qui observe les commandements de Dieu, « qui ont pour fin la charité qui naît d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère[3]». Celle charité vient de Dieu, comme le témoigne l’apôtre saint Jean[4]; et par conséquent le pouvoir de pratiquer la justice vient aussi de lui. Mais qu’est-ce que ceci veut dire : Au milieu de la terre ? Est-ce que ceux qui habitent les extrémités de la terre ne doivent point pratiquer la justice ? J’estime que par ces mots : au milieu de la terre, l’Ecriture veut dire : tant que nous vivons dans ce corps, afin que personne ne s’imagine qu’après celte vie il reste encore du temps pour accomplir la justice qu’on n’a pas pratiquée ici-bas, et pour éviter le jugement de Dieu. Chacun, dans cette vie, porte sa terre avec soi ; et la terre commune reçoit cette terre particulière à la mort de chaque homme, pour la lui rendre au jour de la résurrection. Il faut donc pratiquer la vertu et la justice au milieu de la terre, c’est-à-dire tandis que notre âme est enfermée dans ce corps de terre, afin que cela nous serve pour l’avenir, « lorsque chacun recevra la récompense du bien et du mal qu’il aura fait par le corps[5]». Par le corps, dit l’Apôtre, c’est-à-dire pendant le temps qu’il a vécu dans le corps ; car les pensées de blasphème auxquelles on consent ne sont produites par aucun membre du corps ; et cependant on ne laisse pas d’en être coupable. Nous pouvons fort bien entendre de la même sorte cette parole du psaume : « Dieu, qui est notre roi avant tous les siècles, a accompli l’œuvre de notre salut au milieu de la terre[6]», attendu que le Seigneur Jésus est notre Dieu, et il est avant les siècles, parce que les siècles ont été faits par lui. Il a accompli l’œuvre de notre salut au milieu de la terre, lorsque le Verbe s’est fait chair[7] et qu’il a habité dans un corps de terre.

« Le Seigneur est monté aux cieux, et il a tonné ; il jugera les extrémités de la terre, parce qu’il est juste ». Cette sainte femme observe dans ces paroles l’ordre de la profession de foi des fidèles. Notre-Seigneur Jésus-Christ est monté au ciel, et il viendra de là juger les vivants et les morts. En effet, comme dit l’Apôtre : « Qui est monté, si ce n’est celui qui est descendu jusqu’aux plus basses parties de la terre ? Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses de la présence de sa majesté[8]». Il a donc tonné par ses nuées qu’il a remplies du Saint-Esprit, quand il est monté aux cieux. Et c’est de ces nuées qu’il parle dans le prophète Isaïe[9], quand il menace la Jérusalem esclave, c’est-

  1. Ps. ci, 28.
  2. I Cor. iv, 7.
  3. I Tim. i, 5.
  4. I Jean, iv, 7.
  5. II Cor. v, 10.
  6. Ps. lxxiii, 12.
  7. Jean, i, 14.
  8. Ephés. iv, 9.
  9. Isa. v, 6.