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LA CITÉ DE DIEU.

l’écrivain sacré a eu les pensées que nous lui supposons, alors le commentaire auquel nous nous sommes livré en tire une nouvelle force, et il faut conclure que cet homme de Dieu, tout pénétré d’une sagesse divine, ou plutôt que l’esprit de Dieu qui parlait en lui n’a pas oublié les anges dans l’énumération des ouvrages de Dieu, soit que par ces mots : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre », on entende que Dieu créa les anges dès le principe, c’est-à-dire dès le commencement, soit, ce qui me paraît plus raisonnable, qu’on entende qu’il les créa dans le Verbe de Dieu, son Fils unique, en qui il a créé toutes choses. De même, par le ciel et la terre, on peut entendre toutes les créatures, tant spirituelles que corporelles, explication la plus vraisemblable, ou ces deux grandes parties du monde corporel qui contiennent tout le reste des êtres, et que Moïse mentionne d’abord en général, pour en faire ensuite une description détaillée selon le nombre mystique des six jours.

CHAPITRE XXXIV.
DE CEUX QUI CROIENT QUE PAR LES EAUX QUE SÉPARA LE FIRMAMENT IL FAUT ENTENDRE LES ANGES, ET DE QUELQUES AUTRES QUI PENSENT QUE LES EAUX N’ONT POINT ÉTÉ CRÉÉES.

Quelques-uns ont cru[1] que les eaux, dans la Genèse, désignent la légion des anges, et que c’est ce qu’on doit entendre par ces paroles : « Que le firmament soit fait entre l’eau et l’eau[2] » ; en sorte que les eaux supérieures seraient les bons anges, et que par les eaux inférieures il faudrait entendre, soit les eaux visibles, soit les mauvais anges, soit toutes les nations de la terre. À ce compte, la Genèse ne nous dirait pas quand les anges ont été créés, mais quand ils ont été séparés. Mais croira-t-on qu’il se soit trouvé des esprits assez frivoles et assez impies pour nier que Dieu ait créé les eaux, sous prétexte qu’il n’est écrit nulle part : Dieu dit : Que les eaux soient faites ? Par la même raison, ils pourraient en dire autant de la terre, puisqu’on ne lit nulle part : Dieu dit : Que la terre soit faite. Mais, objectent ces téméraires, il est écrit : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre ». Que conclure de là ? que l’eau est ici sous-entendue, et qu’elle est comprise avec la terre sous un même nom. Car « la mer est à lui », dit le Psalmiste, « et c’est lui qui l’a faite ; et ses mains ont formé la terre[3] ». Pour revenir à ceux qui veulent que, par les eaux qui sont au-dessus des cieux, on entende les anges, ils n’adoptent cette opinion qu’à cause de la nature à la fois pesante et liquide de cet élément, qu’ils ne croient pas pouvoir demeurer ainsi suspendu. Mais cela prouve simplement que s’ils pouvaient faire un homme, ils ne mettraient pas dans sa tête le flegme ou la pituite, laquelle joue le rôle de l’eau dans les quatre éléments dont notre corps est composé. Cependant, la tête n’en reste pas moins le siége de la pituite, et cela est fort bien ordonné. Quant au raisonnement de ces esprits hasardeux, il est tellement absurde que si nous ignorions ce qui en est et qu’il fût écrit de même dans le livre de la Genèse que Dieu a mis un liquide froid et par conséquent pesant dans la plus haute partie du corps de l’homme, ces peseurs d’éléments ne le croiraient pas et diraient que c’est une expression allégorique. Mais si nous voulions examiner en particulier tout ce qui est contenu dans ce récit divin de la création du monde, l’entreprise demanderait trop de temps et nous mènerait trop loin. Comme il nous semble avoir assez parlé de ces deux sociétés contraires des anges, où se trouvent quelques commencements des deux cités dont nous avons dessein de traiter dans la suite, il est à propos de terminer ici ce livre.

  1. Ce système d’interprétation est celui d’Origène, et saint Augustin y incline dans les Confessions (lib. xiii, chap. 15 et chap. 32) ; plus tard il l’abandonna complètement. Voyez ses Rétractations (livre ii, ch. 6, n. 2).
  2. Gen., I, 6.
  3. Ps. xciv, 5.