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LA CITÉ DE DIEU.

nous attribuons aux bons anges. Quand nous parlons de béatitude, en effet, nous ne restreignons pas tellement l’étendue de ce mot qu’il ne puisse convenir qu’à Dieu seul ; et toutefois Dieu seul est heureux en ce sens qu’il ne peut y avoir de béatitude plus grande que la sienne, et celle des anges, appropriée à leur nature, qu’est-elle en comparaison ?

CHAPITRE XII.
COMPARAISON DE LA FÉLICITÉ DES JUSTES SUR LA TERRE ET DE CELLE DE NOS PREMIERS PARENTS AVANT LE PÉCHÉ.

Nous ne bornons même pas la béatitude aux bons anges. Et qui oserait nier que nos premiers parents, avant la chute, n’aient été heureux dans le paradis terrestre[1], tout en étant incertains de la durée de leur béatitude, qui aurait été éternelle, s’ils n’eussent point péché[2] ? Aujourd’hui même, nous n’hésitons point à appeler heureux les bons chrétiens qui, pleins de l’espérance de l’immortalité future, vivent exempts de crimes et de remords, et obtiennent aisément de la miséricorde de Dieu le pardon des fautes attachées à l’humaine fragilité. Et cependant, quelque assurés qu’ils soient du prix de leur persévérance, ils ne le sont pas de leur persévérance même. Qui peut, en effet, se promettre de persévérer jusqu’à la fin, à moins que d’en être assuré par quelque révélation de celui qui, par un juste et mystérieux conseil, ne découvre pas l’avenir à tous, mais qui ne trompe jamais personne ? Pour ce qui regarde la satisfaction présente, le premier homme était donc plus heureux dans le paradis que quelque homme de bien que ce soit en cette vie mortelle ; mais quant à l’espérance du bien à venir, quiconque est assuré de jouir un jour de Dieu en la compagnie des anges, est plus heureux, quoiqu’il souffre, que ne l’était le premier homme, incertain de sa chute , dans toute la félicité du paradis[3]

CHAPITRE XIII.
TOUS LES ANGES ONT ÉTÉ CRÉÉS DANS UN MÊME ÉTAT DE FÉLICITÉ, DE TELLE SORTE QUE CEUX QUI DEVAIENT DÉCHOIR IGNORAIENT LEUR CHUTE FUTURE, ET QUE LES BONS N’ONT EU LA PRESCIENCE DE LEUR PERSÉVÉRANCE QU’APRÈS LA CHUTE DES MAUVAIS.

Dès lors, il est aisé de voir que l’union de deux choses constitue la béatitude, objet légitime des désirs de tout être intelligent : premièrement, jouir sans trouble du bien immuable , qui est Dieu même ; secondement, être pleinement assuré d’en jouir toujours. La foi nous apprend que les anges de lumière possèdent cette béatitude, et la raison nous fait conclure que les anges prévaricateurs ne la possédaient pas, même avant leur chute. Cependant on ne peut leur refuser quelque félicité, je veux dire une félicité sans prescience, s’ils ont vécu quelque temps avant leur péché[4]. Semble-t-il trop dur de penser que, parmi les anges, les uns ont été créés dans l’ignorance de leur persévérance future ou de leur chute, tandis que les autres ont su de science certaine l’éternité de leur béatitude, et veut-on que tous aient été créés dans une égale félicité, y étant demeurés jusqu’au moment où quelques-uns ont quitté volontairement la source de leur bonheur ? mais il est certes beaucoup plus dur de croire que les bons anges soient encore, à cette heure, incertains de leur béatitude, et qu’ils ignorent sur eux-mêmes ce que nous avons pu, nous, en apprendre par le témoignage des saintes Ecritures. Car quel chrétien catholique ne sait qu’il ne se fera plus de démons d’aucun des bons anges, comme il ne se fera point de bons anges d’aucun des démons ? En effet, la Vérité promet dans l’Evangile aux fidèles chrétiens, qu’ils seront semblables aux anges de Dieu[5], et elle dit en même temps qu’ils jouiront de la vie éternelle[6]. Or, si nous devons être un jour certains de ne jamais déchoir de la félicité immortelle, supposez que les anges ne le fussent pas, nous ne serions plus leurs égaux, nous serions leurs supérieurs. Mais la Vérité ne trompe jamais, et puisque nous devons être leurs égaux, il s’ensuit qu’ils sont certains de

  1. Comp. De corrept. et grat., lib. x, n. 26.
  2. Comp. De Gen. ad litt., lib. xi, n. 24, 25.
  3. Le sentiment de saint Augustin sur cette matière est plus développé dans un traité exprès, le De dono perseverantiœ, ainsi que dans le De corrept. et grat., passim.
  4. Cette question est traitée dans le De Gen. ad litt., lib. x, n. 21-24. — Voyez aussi le De corrept. et grat., n. 10.
  5. Matt. xxii, 30.
  6. Matt. xxv, 46.