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LA CITÉ DE DIEU.

créé que le quatrième jour[1]. L’Ecriture nous dit bien que Dieu créa d’abord la lumière[2], et la sépara des ténèbres[3], qu’il appela la lumière jour, et les ténèbres nuit[4] ; mais quelle était cette lumière et par quel mouvement périodique se faisait le soir et le matin, voilà ce qui échappe à nos sens et ce que nous devons pourtant croire sans hésiter, malgré l’impossibilité de le comprendre. En effet, ou bien il s’agit d’une lumière corporelle, soit qu’elle réside loin de nos regards, dans les parties supérieures du monde, soit qu’elle ait servi plus tard à allumer le soleil ; ou bien ce mot de lumière signifie la sainte Cité composée des anges et des esprits bienheureux dont l’Apôtre parle ainsi : « La Jérusalem d’en haut, notre mère éternelle dans les cieux[5] ». Il dit, en effet, ailleurs : « Vous êtes tous enfants de lumière et enfants du jour ; nous ne sommes point les fils de la nuit ni des ténèbres[6] ». Peut-être aussi pourrait-on dire, en quelque façon, que ce jour a son soir et son matin, dans ce sens que la science des créatures est comme un soir en comparaison de celle du Créateur, mais qu’elle devient un jour et un matin, lorsqu’on la rapporte à sa gloire et à son amour, et, pareillement, qu’elle ne penche point vers la nuit, quand on n’abandonne point le Créateur pour s’attacher à la créature. Remarquez enfin que l’Ecriture, comptant par ordre ces premiers jours, ne se sert jamais du mot de nuit ; car elle ne dit nulle part : Il y eut nuit, mais : « Du soir et du matin se fit un jour[7] » ; et ainsi du second et du suivant. Aussi bien, la connaissance des choses créées, quand on les regarde en elles-mêmes, a moins d’éclat que si on les contemple dans la sagesse de Dieu comme dans l’art qui les a produites, de sorte qu’on peut l’appeler plus convenablement un soir qu’une nuit ; et néanmoins, comme je l’ai dit, si on la rapporte à la gloire et à l’amour du Créateur, elle devient en quelque façon un matin. Ainsi envisagée, la connaissance des choses créées constitue le premier jour en tant qu’elle se connaît elle-même ; en tant qu’elle a pour objet le firmament, qui a été placé entre les eaux inférieures et supérieures et a été appelé le ciel, c’est le second jour ; appliquée à la terre, à la mer et à toutes les plantes qui tiennent à la terre par leurs racines, c’est le troisième jour ; aux deux grands astres et aux étoiles, c’est le quatrième jour ; à tous les animaux engendrés des eaux, soit qu’ils nagent, soit qu’ils volent, c’est le cinquième jour ; enfin, le sixième jour est constitué par la connaissance de tous les animaux terrestres et de l’homme même[8].

CHAPITRE VIII.
CE QU’IL FAUT ENTENDRE PAR LE REPOS DE DIEU APRÈS L’ŒUVRE DES SIX JOURS.

Quand l’Ecriture dit que Dieu se reposa le septième jour et le sanctifia[9], il ne faut pas entendre cela d’une manière puérile, comme si Dieu s’était lassé à force de travail ; Dieu a parlé et l’univers a été fait[10], et cette parole n’est pas sensible et passagère, mais intelligible et éternelle. Le repos de Dieu, c’est le repos de ceux qui se reposent en lui, comme la joie d’une maison, c’est la joie de ceux qui se réjouissent dans la maison, bien que ce ne soit pas la maison même qui cause leur joie. Combien donc sera-t-il plus raisonnable d’appeler cette maison joyeuse, si par sa beauté elle inspire de la joie à ceux qui l’habitent ? En sorte qu’on l’appelle joyeuse, non-seulement par cette façon de parler qui substitue le contenant au contenu (comme quand on dit que les théâtres applaudissent, que les prés mugissent, parce que les hommes applaudissent sur les théâtres et que les bœufs mugissent dans les prés), mais encore par cette figure qui exprime l’effet par la cause, comme quand on dit qu’une lettre est joyeuse, pour marquer la joie qu’elle donne à ceux qui la lisent. Ainsi, lorsque le prophète dit que Dieu s’est reposé, il marque fort bien le repos de ceux qui se reposent en Dieu et dont Dieu même fait le repos ; et cette parole regarde aussi les hommes pour qui les saintes Ecritures ont été composées ; elle leur promet un repos éternel à la suite des bonnes œuvres que Dieu opère en eux et par eux, s’ils s’approchent d’abord de lui par la foi. C’est ce qui a été pareillement figuré par le repos du sabbat que la loi prescrivait à l’ancien peuple de Dieu, et dont je me propose de parler ailleurs plus au long[11].

  1. Gen. 1, 14 et seq.
  2. Ibid. 3.
  3. Ibid. 4.
  4. Gen. i, 5.
  5. Galat. IV, 26.
  6. i Thess. v, 5.
  7. Gen. i, 5.
  8. Ce système d’interprétation est plus amplement développé dans un traité spécial de saint Augustin, le De Genesi ad litteram. Voyez surtout les livres iii et iv.
  9. Gen. II, 2 et 3.
  10. Gen. i, 3.
  11. Sur le sens symbolique du repos de Dieu, voyez le De Gen. ad litt., n. 15 et seq.