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LA CITÉ DE DIEU.

désirait ardemment de jouir de ses chastes et ineffables embrassements. Mais enfin, si ceux qui adorent plusieurs dieux (quelque sentiment qu’ils aient touchant leur nature) ne doutent point des miracles qu’on leur attribue, et s’en rapportent soit aux historiens, soit aux livres de la magie, soit enfin aux livres moins suspects de la théurgie, pourquoi refusent-ils de croire aux miracles attestés par nos Ecritures, dont l’autorité doit être estimée d’autant plus grande que celui à qui seul elles commandent de sacrifier est plus grand ?

CHAPITRE XIX.
QUEL EST L’OBJET DU SACRIFICE VISIBLE QUE LA VRAIE RELIGION ORDONNE D’OFFRIR AU SEUL DIEU INVISIBLE ET VÉRITABLE.

Quant à ceux qui estiment que les sacrifices visibles doivent être offerts aux autres dieux, mais que les sacrifices invisibles, tels que les mouvements d’une âme pure et d’une bonne volonté, appartiennent, comme plus grands et plus excellents, au Dieu invisible, plus grand lui-même et plus excellent que tous les dieux[1], ils ignorent sans doute que les sacrifices visibles ne sont que les signes des autres, comme les mots ne sont que les signes des choses. Or, puisque dans la prière nous adressons nos paroles à celui-là même à qui nous offrons les pensées de nos cœurs, n’oublions pas, quand nous sacrifions, qu’il ne faut offrir le sacrifice visible qu’à celui dont nous devons être nous-mêmes le sacrifice invisible. C’est alors que les Anges et les Vertus supérieures, dont la bonté et la piété font la puissance, se réjouissent avec nous de ce culte que nous rendons à Dieu, et nous aident à le lui rendre. Mais si nous voulons les adorer, ces purs esprits sont si peu disposés à agréer notre culte qu’ils le rejettent positivement, quand ils viennent remplir quelque mission visible auprès des hommes. L’Ecriture sainte en fournit des exemples. Nous y voyons, en effet[2], que quelques fidèles ayant cru devoir leur rendre les honneurs divins, soit par l’adoration, soit par le sacrifice, ils les en ont empêchés, avec ordre de les reporter au seul être à qui ils savent qu’ils sont dus. Les saints ont imité les anges : après la guérison miraculeuse que saint Paul et saint Barnabé opérèrent en Lycaonie, le peuple les prit pour des dieux et voulut leur sacrifier[3] ; mais leur humble piété s’y opposa, et ils annoncèrent aux Lycaoniens le Dieu en qui ils devaient croire. Les esprits trompeurs eux-mêmes n’exigent ces honneurs que parce qu’ils savent qu’ils n’appartiennent qu’au vrai Dieu. Ce qu’ils aiment, ce n’est pas, comme le rapporte Porphyre, et comme quelques-uns le croient, les odeurs corporelles, mais les honneurs divins. Dans le fait, ils ont assez de ces sortes d’odeurs qui leur viennent de tout côté, et, s’ils en voulaient davantage, il ne tiendrait qu’à eux de s’en donner ; mais ces mauvais esprits, qui affectent la divinité, ne se contentent pas de la fumée des corps, ils demandent les hommages du cœur, afin d’exercer leur domination sur ceux qu’ils abusent, et de leur fermer la voie qui mène au vrai Dieu, en les empêchant par ces sacrifices impies de devenir eux-mêmes un sacrifice agréable à Dieu.

CHAPITRE XX.
DU VÉRITABLE ET SUPRÊME SACRIFICE EFFECTUÉ PAR LE CHRIST LUI-MÊME, MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES.

De là vient que ce vrai médiateur entre Dieu et les hommes, médiateur en tant qu’il a pris la forme d’esclave, Jésus-Christ homme, bien qu’il reçoive le sacrifice, à titre de Dieu consubstantiel au Père, a mieux aimé être lui-même le sacrifice, à titre d’esclave, que de le recevoir, et cela, pour ne donner occasion à personne de croire qu’il soit permis de sacrifier à une créature, quelle qu’elle soit. Il est donc à la fois le prêtre et la victime, et voilà le sens du sacrifice que l’Eglise lui offre chaque jour ; car l’Eglise, comme corps dont il est le chef, s’offre elle-même par lui. Les anciens sacrifices des saints n’étaient aussi que des signes divers et multipliés de ce sacrifice véritable, de même que plusieurs mots servent quelquefois à exprimer une seule chose en l’inculquant plus fortement et sans ennui. Devant ce suprême et vrai sacrifice, tous les faux sacrifices ont disparu.

  1. Saint Augustin paraît faire ici allusion à Porphyre et à ses disciples. Voyez le De abst. anim., lib. ii, cap. 61 et seq.
  2. Apocal. xix, 10, et xxii, 9.
  3. Act. xiv, 10 et seq.