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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

triompherait sans doute de la jalousie d’un magicien malfaisant ; ou si les dieux jugeaient que la purification ne fût pas méritée, au moins ne devaient-ils pas s’épouvanter des conjurations d’un envieux, ni être arrêtés, comme le rapporte formellement Porphyre, par la crainte d’un dieu plus puissant, mais plutôt refuser ce qu’on leur demande par une libre décision. N’est-il pas étrange que ce bon Chaldéen, qui désirait purifier une âme par des consécrations théurgiques, n’ait pu trouver un dieu supérieur, qui, en imprimant aux dieux subalternes une terreur plus forte, les obligeât à faire le bien qu’on réclamait d’eux, ou, en les délivrant de toute crainte, leur permît de faire ce bien librement ? Et toutefois l’honnête théurge manqua de recettes magiques pour purifier d’abord de cette crainte fatale les dieux qu’il invoquait comme purificateurs. Je voudrais bien savoir comment il se fait qu’il y ait un dieu plus puissant pour imprimer la terreur aux dieux subalternes, et qu’il n’y en ait pas pour les en délivrer. Est-ce donc à dire qu’il est aisé de trouver un dieu quand il s’agit non d’exaucer la bienveillance, mais l’envie, non de rassurer les dieux inférieurs, pour qu’ils fassent du bien, mais de les effrayer, pour qu’ils n’en fassent pas ? Ô merveilleuse purification des âmes ! sublime théurgie, qui donne à l’immonde envie plus de force qu’à la pure bienfaisance ! ou plutôt détestable et dangereuse perfidie des malins esprits, dont il faut se détourner avec horreur, pour prêter l’oreille à une doctrine salutaire ! Car ces belles images des anges et des dieux, qui, suivant Porphyre, apparaissent à l’âme purifiée, que sont-elles autre chose, en supposant que ces rites impurs et sacriléges aient en effet la vertu de les faire voir, que sont-elles, sinon ce que dit l’Apôtre[1], c’est à savoir : « Satan transformé en ange de lumière ? » C’est lui qui, pour engager les âmes dans les mystères trompeurs des faux dieux et pour les détourner du vrai culte et du vrai Dieu, seul purificateur et médecin des âmes, leur envoie ces fantômes décevants, véritable protée, habile à revêtir toutes les formes[2], tour à tour persécuteur acharné et persécuteur perfide, toujours malfaisant.

CHAPITRE XI.
DE LA LETTRE DE PORPHYRE À L’ÉGYPTIEN ANÉBON, OU IL LE PRIE DE L’INSTRUIRE TOUCHANT LES DIVERSES ESPÈCES DE DÉMONS.

Porphyre a été mieux inspiré dans sa lettre à l’égyptien Anébon, où, en ayant l’air de le consulter et de lui faire des questions, il démasque et renverse tout cet art sacrilége. Il s’y déclare ouvertement contre tous les démons, qu’il tient pour des êtres dépourvus de sagesse, attirés vers la terre par l’odeur des sacrifices, et séjournant à cause de cela, non dans l’éther, mais dans l’air, au-dessous de la lune et dans le globe même de cet astre. Il n’ose pas cependant attribuer à tous les démons toutes les perfidies, malices et stupidités dont il est justement choqué. Il dit, comme les autres, qu’il y a quelques bons démons, tout en confessant que cette espèce d’êtres est généralement dépourvue de sagesse. Il s’étonne que les sacrifices aient l’étrange vertu non-seulement d’incliner les dieux, mais de les contraindre à faire ce que veulent les hommes, et il n’est pas moins surpris qu’on mette au rang des dieux le soleil, la lune et les autres astres du ciel, qui sont des corps, puisqu’on fait consister la différence des dieux et des démons en ce point que les démons ont un corps et que les dieux n’en ont pas ; et en admettant que ces astres soient en effet des dieux, il ne peut comprendre que les uns soient bienfaisants, les autres malfaisants, ni qu’on les mette au rang des êtres incorporels, puisqu’ils ont un corps. Il demande encore avec l’accent du doute si ceux qui prédisent l’avenir et qui font des prodiges ont des âmes douées d’une puissance supérieure, ou si cette puissance leur est communiquée du dehors par de certains esprits, et il estime que cette dernière opinion est la plus plausible, parce que ces magiciens se servent de certaines pierres et de certaines herbes pour opérer des alligations, ouvrir des portes et autres effets miraculeux. C’est là, suivant Porphyre, ce qui fait croire à plusieurs qu’il existe des êtres d’un ordre supérieur, dont le propre est d’être attentifs aux vœux des hommes, esprits perfides, subtils, susceptibles de toutes les formes, tour à tour dieux, démons, âmes des morts. Ces êtres produisent tout ce qui arrive de bien ou de mal, du moins ce qui nous paraît tel ; car ils ne concourent jamais au bien véritable, et ils ne le connais-

  1. II Cor. xi, 14.
  2. Virgile, Géorg., livre iv, v. 411.