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LA CITÉ DE DIEU

quant au genre, des animaux ; quant à l’esprit, raisonnables ; quant à l’âme, sujets aux passions ; quant au corps, aériens ; quant au temps, éternels. Après avoir placé les dieux au ciel et les hommes sur la terre, séparant ces deux classes d’êtres tant par la distance des lieux que par l’inégalité des natures, il conclut en ces termes : « Vous avez donc deux sortes d’animaux, les hommes d’une part, et de l’autre les dieux, si différents des hommes par la hauteur de leur séjour, par la durée éternelle de leur vie et par la perfection de leur nature, en sorte qu’il n’y a entre eux aucune communication prochaine ; car le ciel est séparé de la terre par un espace immense : en haut, une vie éternelle et indéfectible, en bas, une vie faible et caduque ; enfin, les esprits célestes planent au faîte de la béatitude ; les hommes sont plongés dans les abîmes de la misère[1] ». Voilà donc les trois qualités contraires qui séparent les natures extrêmes, la plus haute et la plus basse. Apulée reproduit ici, quoiqu’en d’autres termes, les trois caractères d’excellence qu’il attribue aux dieux, et il leur oppose les trois caractères d’infériorité inhérents à la condition humaine. Les trois attributs des dieux sont la sublimité du séjour, l’éternité de la vie, la perfection de la nature ; les trois caractères opposés des hommes sont : un séjour inférieur, une vie mortelle, une condition misérable.

CHAPITRE XIII.
SI LES DÉMONS PEUVENT ÊTRE MÉDIATEURS ENTRE LES DIEUX ET LES HOMMES, SANS AVOIR AVEC EUX AUCUN POINT COMMUN, N’ÉTANT PAS HEUREUX, COMME LES DIEUX, NI MISÉRABLES, COMME LES HOMMES.

Si nous considérons maintenant les démons sous ces trois points de vue, il n’y a pas de difficulté touchant le lieu de leur séjour ; car entre la région la plus haute et la plus basse se trouve évidemment un milieu. Mais il reste deux qualités qu’il faut examiner avec soin, pour voir si elles sont étrangères aux démons, ou, au cas qu’elles leur appartiennent, comment elles s’accordent avec leur position mitoyenne. Or, elles ne sauraient leur être étrangères. On ne peut pas dire, en effet, des démons, animaux raisonnables, qu’ils ne sont ni heureux ni malheureux, comme on le dit des bêtes ou des plantes, dans lesquelles il n’y a ni raison, ni sentiment, ou encore comme on dit du milieu qu’il n’est ni le plus haut ni le plus bas. De même on ne peut pas dire des démons qu’ils ne sont ni mortels ni immortels ; car tout ce qui vit, ou vit toujours, ou cesse de vivre. Apulée d’ailleurs se prononce et fait les démons éternels. A quelle conclusion aboutir, sinon que, outre ces qualités contraires, les démons, êtres mitoyens, doivent emprunter un de leurs attributs à la série des qualités supérieures, et un autre à celle des inférieures ? Supposez, en effet, qu’ils eussent, soit les deux qualités supérieures, soit les deux autres, ils ne seraient plus des êtres mitoyens, ils s’élèveraient en haut ou se précipiteraient en bas. Et comme il a été prouvé qu’ils doivent posséder une des qualités contraires, il faut bien que pour tenir le milieu ils en prennent une de chaque côté. Or, ils ne peuvent emprunter aux natures terrestres l’éternité qui n’y est pas ; la prenant donc nécessairement aux êtres célestes, il faut, pour accomplir leur nature mitoyenne, qu’ils prennent la misère aux êtres inférieurs. Ainsi, selon les Platoniciens, les dieux qui occupent la plus haute partie du monde possèdent une éternité bienheureuse ou une béatitude éternelle ; les hommes, qui habitent la plus basse, une misère caduque ou une caducité misérable, et les démons, qui sont au milieu, une misère immortelle ou une misérable immortalité. Au reste, Apulée, par les cinq caractères qu’il attribue aux démons en les définissant, n’a pas montré, comme il l’avait promis, qu’ils soient intermédiaires entre les dieux et les hommes : « Ils ont, dit-il, trois points communs avec nous, étant des animaux quant au genre, des êtres raisonnables quant à l’esprit, et quant à l’âme des natures sujettes aux passions » ; il ajoute qu’ils ont un trait commun avec les dieux, savoir : l’éternité, et que l’attribut qui leur est propre, c’est un corps aérien. Comment donc y voir des natures mitoyennes entre la plus excellente et la plus imparfaite, puisqu’ils n’ont avec celle-ci qu’un point commun et qu’ils en ont trois avec celle-là ? N’est-il pas clair qu’ils s’éloignent ainsi du milieu et penchent vers l’extrémité inférieure ? Toutefois, il y aurait un moyen de soutenir qu’ils tiennent le milieu, et le voici : On pourrait alléguer que, outre leurs cinq qualités, il y en a une qui leur est

  1. De deo Socr., p. 44.