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LIVRE IX. — DEUX ESPÈCES DE DÉMONS.

opinion platonicienne que les démons, qui tiennent le milieu entre les dieux et les hommes, sont livrés au mouvement tumultueux des passions. En effet, si leur esprit, tout en les subissant, restait libre et maître de soi, Apulée ne nous le peindrait pas agité comme le nôtre par le souffle des passions et semblable à une mer orageuse[1]. Cet esprit donc, cette partie supérieure de leur âme qui en fait des êtres raisonnables, et qui soumettrait les passions turbulentes de la région inférieure aux lois de la vertu et de la sagesse, si les démons pouvaient être sages et vertueux, c’est cet esprit même qui, de l’aveu du philosophe platonicien, est agité par l’orage des passions. J’en conclus que l’esprit des démons est sujet à la convoitise, à la crainte, à la colère et à toutes les affections semblables. Où est donc cette partie d’eux-mêmes, libre, capable de sagesse, qui les rend agréables aux dieux et utiles aux hommes de bien ? Je vois des âmes livrées tout entières au joug des passions et qui ne font servir la partie raisonnable de leur être qu’à séduire et à tromper, d’autant plus ardentes à l’œuvre qu’elles sont animées d’un plus violent désir de faire du mal.

CHAPITRE VII.
LES PLATONICIENS CROIENT LES DIEUX OUTRAGÉS PAR LES FICTIONS DES POËTES, QUI LES REPRÉSENTENT COMBATTUS PAR DES AFFECTIONS CONTRAIRES, CE QUI N’APPARTIENT QU’AUX DÉMONS.

On dira peut-être que les poëtes, en nous peignant les dieux comme amis ou ennemis de certains hommes, ont voulu parler, non de tous les démons, mais seulement des mauvais, de ceux-là mêmes qu’Apulée croit agités par l’orage des passions. Mais comment admettre cette interprétation, quand Apulée, en attribuant les passions aux démons, ne fait entre eux aucune distinction et nous les représente en général comme tenant le milieu entre les dieux et les hommes à cause de leurs corps aériens ? Suivant ce philosophe, la fiction des poëtes consiste à transformer les démons en dieux, et, grâce à l’impunité de la licence poétique, à les partager à leur gré entre les hommes, comme protecteurs ou comme ennemis, tandis que les dieux sont infiniment au-dessus de ces faiblesses des démons, et par l’élévation de leur séjour et par la plénitude de leur félicité. Cette fiction se réduit donc à donner le nom de dieux à des êtres qui ne sont pas dieux, et Apulée ajoute qu’elle n’est pas très-éloignée de la vérité, attendu que, au nom près, ces êtres sont représentés selon leur véritable nature, qui est celle des démons. Telle est, à son avis, cette Minerve d’Homère qui intervient au milieu des Grecs pour empêcher Achille d’outrager Agamemnon. Que Minerve ait apparu aux Grecs, voilà la fiction poétique, selon Apulée, pour qui Minerve est une déesse qui habite loin du commerce des mortels, dans la région éthérée, en compagnie des dieux, qui sont tous des êtres heureux et bons. Mais qu’il y ait eu un démon favorable aux Grecs et ennemi des Troyens, qu’un autre démon, auquel le même poëte a donné le nom d’un des dieux qui habitent paisiblement le ciel, comme Mars et Vénus, ait favorisé au contraire les Troyens en haine des Grecs ; enfin, qu’une lutte se soit engagée entre ces divers démons, animés de sentiments opposés, voilà ce qui, pour Apulée, n’est pas un récit très-éloigné de la vérité. Les poëtes, en effet, n’ont attribué ces passions qu’à des êtres qui sont en effet sujets aux mêmes passions que les hommes, aux mêmes tempêtes des émotions contraires, capables, par conséquent, d’éprouver de l’amour et de la haine, non selon la justice, mais à la manière du peuple qui, dans les chasses et les courses du cirque, se partage entre les adversaires au gré de ses aveugles préférences. Le grand souci du philosophe platonicien, c’est uniquement qu’au lieu de rapporter ces fictions aux démons, on ne prenne les poëtes à la lettre en les attribuant aux dieux.

CHAPITRE VIII.
COMMENT APULÉE DÉFINIT LES DIEUX, HABITANTS DU CIEL, LES DÉMONS, HABITANTS DE L’AIR, ET LES HOMMES, HABITANTS DE LA TERRE.

Si l’on reprend la définition des démons, il suffira d’un coup d’œil pour s’assurer qu’Apulée les caractérise tous indistinctement, quand il dit qu’ils sont, quant au genre, des animaux, quant à l’âme, sujets aux passions, quant à l’esprit, raisonnables, quant aux corps, aériens, quant au temps, éternels. Ces cinq qualités n’ont rien qui rapproche les démons des hommes vertueux et les sépare des méchants. Apulée, en effet, quand il passe des

  1. De deo Socr., p. 48.