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LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

punit par de justes lois les pratiques des magiciens, et il communique avec le démon qui enseigne et exerce la magie ; il ne communique pas avec l’homme qui fuit les œuvres des démons, et il communique avec le démon qui tend des pièges à la faiblesse de l’homme.

CHAPITRE XXI.
SI LES DIEUX SE SERVENT DES DÉMONS COMME DE MESSAGERS ET D’INTERPRÈTES, ET S’ILS SONT TROMPÉS PAR EUX, À LEUR INSU OU DE LEUR PLEIN GRÉ.

Mais, disent-ils, ce qui vous paraît d’une absurdité et d’une indignité révoltantes est absolument nécessaire, les dieux de l’éther ne pouvant rien savoir de ce que font les habitants de la terre que par l’intermédiaire des démons de l’air ; car l’éther est loin de la terre, à une hauteur prodigieuse, au lieu que l’air est à la fois contigu à l’éther et à la terre. Ô l’admirable sagesse et le beau raisonnement ! Il faut, d’un côté, que les dieux dont la nature est essentiellement bonne, aient soin des choses humaines, de peur qu’on ne les juge indignes d’être honorés ; de l’autre côté, il faut que, par suite de la distance des éléments, ils ignorent ce qui se passe sur la terre, afin de rendre indispensable le ministère des démons et d’accréditer leur culte parmi les peuples, sous prétexte que c’est par leur entremise que les dieux peuvent être informés des choses d’en bas, et venir au secours des mortels. Si cela est, les dieux bons connaissent mieux les démons par la proximité de leurs corps que les hommes par la bonté de leurs âmes. Ô déplorable nécessité, ou plutôt ridicule et vaine erreur, imaginée pour couvrir le néant de vaines divinités ! En effet, s’il est possible aux dieux de voir notre esprit par leur propre esprit libre des obstacles du corps, ils n’ont pas besoin pour cela du ministère des démons ; si, au contraire, les dieux ne connaissent les esprits qu’en percevant, à l’aide de leurs propres corps éthérés, les signes corporels tels que le visage, la parole, les mouvements ; si c’est de la sorte qu’ils recueillent les messages des démons, rien n’empêche qu’ils ne soient abusés par leurs mensonges. Or, comme il est impossible que la Divinité soit trompée par les démons, il est impossible aussi que la Divinité ignore ce que font les hommes.

J’adresserais volontiers une question à ces philosophes : Les démons ont-ils fait connaître aux dieux l’arrêt prononcé par Platon contre les fictions sacriléges des poëtes, sans leur avouer le plaisir qu’ils prennent à ces fictions ? ou bien ont-ils gardé le silence sur ces deux choses ? ou bien les ont-ils révélées toutes deux, ainsi que leur libertinage, plus injurieux à la divinité que la religieuse sagesse de Platon ? ou bien, enfin, ont-ils caché aux dieux la condamnation dont Platon a frappé la licence calomnieuse du théâtre ? et, en même temps, ont-ils eu l’audace et l’impudeur de leur avouer le plaisir criminel qu’ils prennent à ce spectacle des dieux avilis ? Qu’on choisisse entre ces quatre suppositions : je n’en vois aucune où il ne faille penser beaucoup de mal des dieux bons. Si l’on admet la première, il faut accorder qu’il n’a pas été permis aux dieux bons de communiquer avec un bon philosophe qui les défendait contre l’outrage, et qu’ils ont communiqué avec les démons qui se réjouissaient de les voir outragés. Ce bon philosophe, en effet, était trop loin des dieux bons pour qu’il leur fût possible de le connaître autrement que par des démons méchants qui ne leur étaient pas déjà très-bien connus malgré le voisinage. Si l’on veut que les démons aient caché aux dieux tout ensemble et le pieux arrêt de Platon et leurs plaisirs sacrilèges, à quoi sert aux dieux, pour la connaissance des choses humaines, l’entremise des démons, du moment qu’ils ne savent pas ce que font des hommes pieux, par respect pour la majesté divine, contre le libertinage des esprits méchants ? J’admets la troisième supposition, que les démons n’ont pas fait connaître seulement aux dieux le pieux sentiment de Platon, mais aussi le plaisir criminel qu’ils prennent à voir la Divinité avilie, je dis qu’un tel rapport adressé aux dieux est plutôt un insigne outrage. Et cependant on admet que les dieux, sachant tout cela, n’ont pas rompu commerce avec les démons, ennemis de leur dignité comme de la piété de Platon, mais qu’ils ont chargé ces indignes voisins de transmettre leurs dons au vertueux Platon, trop éloigné d’eux pour les recevoir de leur main. Ils sont donc tellement liés par la chaîne indissoluble des éléments, qu’ils peuvent communiquer avec leurs calomniateurs et ne le peuvent pas avec leurs défenseurs, connaissant les uns et