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LIVRE VII. — LES DIEUX CHOISIS

terre féconde et ne se serait pas rendu stérile. Que dans les fêtes de Bacchus une chaste matrone couronne les parties honteuses de l’homme, devant une foule où se trouve peut-être son mari qui sue et rougit de honte, s’il y a parmi les hommes un reste de pudeur ; que l’on oblige, aux fêtes nuptiales, la nouvelle épouse de s’asseoir sur un Priape, tout cela n’est rien en comparaison de ces mystères cruellement honteux et honteusement cruels, où l’artifice des démons trompe et mutile l’un et l’autre sexe sans détruire aucun des deux. Là on craint pour les champs les sortiléges, ici on ne craint pas pour les membres la mutilation ; là on blesse la pudeur de la nouvelle mariée, mais on ne lui ôte ni la fécondité, ni même la virginité ; ici on mutile un homme de telle façon qu’il ne devient point femme et cesse d’être homme.

CHAPITRE XXV.
QUELLE EXPLICATION LA SCIENCE DES SAGES DE LA GRACE A IMAGINÉE DE LA MUTILATION D’ATYS.

Varron ne dit rien d’Atys et ne cherche pas à expliquer pourquoi les Galles se mutilent en mémoire de l’amour que lui porta Cybèle[1]. Mais les savants et les sages de la Grèce n’ont eu garde de laisser sans explication une tradition si belle et si sainte. Porphyre[2], le célèbre philosophe, y voit un symbole du printemps qui est la plus brillante saison de l’année ; Atys représente les fleurs, et, s’il est mutilé, c’est que la fleur tombe avant le fruit. À ce compte le vrai symbole des fleurs n’est pas cet homme ou ce semblant d’homme qu’on appelle Atys, ce sont ses parties viriles qui tombèrent, en effet, par la mutilation ; ou plutôt elles ne tombèrent pas ; elles furent, non pas cueillies, mais déchirées en lambeaux, et tant s’en faut que la chute de cette fleur ait fait place à aucun fruit qu’elle fût suivie de stérilité. Que signifie donc cet Atys mutilé, ce reste d’homme ? à quoi le rapporter et quel sens lui découvrir ? Certes, les efforts impuissants où l’on se consume pour expliquer ce prétendu mystère font bien voir qu’il faut s’en tenir à ce que la renommée en publie et à ce qu’on en a écrit, je veux dire que cet Atys est un homme qu’on a mutilé. Aussi Varron garde-t-il ici le silence ; et comme un si savant homme n’a pu ignorer ce genre d’explication, il faut en conclure qu’il ne la goûtait nullement.

CHAPITRE XXVI.
INFAMIES DES MYSTÈRES DE LA GRANDE MÈRE.

Un mot maintenant sur ces hommes énervés que l’on consacre à la grande Mère par une mutilation également injurieuse à la pudeur des deux sexes ; hier encore on les voyait dans les rues et sur les places de Carthage, les cheveux parfumés, le visage couvert de fard, imitant de leur corps amolli la démarche des femmes, demander aux passants de quoi soutenir leur infâme existence[3]. Cette fois encore Varron a trouvé bon de ne rien dire, et je ne me souviens d’aucun auteur qui se soit expliqué sur ce sujet. Ici l’exégèse fait défaut, la raison rougit, la parole expire. La grande Mère a surpassé tous ses enfants, non par la grandeur de la puissance, mais par celle du crime. C’est une monstruosité qui éclipse le monstrueux Janus lui-même ; car Janus n’est hideux que dans ses statues, elle est hideuse et cruelle dans ses mystères ; Janus n’a qu’en effigie des membres superflus, elle fait perdre en réalité des membres nécessaires. Son infamie est si grande, qu’elle surpasse toutes les débauches de Jupiter. Séducteur de tant de femmes, il n’a déshonoré le ciel que du seul Ganymède ; mais elle, avec son cortége de mutilés scandaleux, a tout ensemble souillé la terre et outragé le ciel. Je ne trouve rien à lui comparer que Saturne, qui, dit-on, mutila son père. Encore, dans les mystères de ce dieu, les hommes périssent par la main d’autrui ; ils ne se mutilent point de leur propre main. Les poëtes, il est vrai, imputent à Saturne d’avoir dévoré ses enfants, et la théologie physique interprète cette tradition comme il lui plaît ; mais l’histoire porte simplement qu’il les tua ; et si à Carthage on lui sacrifiait des enfants, c’est un usage que les Romains ont répudié. La mère des dieux, au contraire, a introduit ses eunuques dans les temples des Romains, et cette cruelle coutume s’est conservée, comme si on pouvait accroître la virilité de l’âme en retranchant la virilité du

  1. Sur Cybèle, Atys et les Galles, voyez le chapitre précédent.
  2. Dans son livre De ratione naturali deorum. Sur Porphyre, voyez plus bas, chap. 9 du livre x.
  3. Une loi romaine donnait aux prêtres de Cybèle le droit de demander l’aumône. Voyez Ovide (Fastes, liv. iv, v. 350 et suiv.), et Cicéron (De legibus, lib. ii, cap. 9 et 16.)