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LIVRE VII. — LES DIEUX CHOISIS

n’a pu monter jusqu’aux astres, et que Saturne a obtenu dans le ciel ce qu’il n’a pu obtenir ni dans son royaume ni dans le Capitole[1] ? Et puis, pourquoi Janus n’a-t-il pas son étoile ? Est-ce parce qu’il est le monde et qu’à ce titre il embrasse toutes les étoiles ? mais Jupiter est le monde aussi, et cependant il y a une étoile qui porte son nom. Janus se serait-il arrangé de son mieux, et, au lieu d’une étoile qu’il devait avoir dans le ciel, se serait-il contenté d’avoir plusieurs visages sur la terre ? Enfin, si c’est seulement à cause de leurs étoiles qu’on regarde Mercure et Mars comme des parties du monde, afin d’en pouvoir faire des dieux, le langage et la guerre n’étant point des parties du monde, mais des actes de l’humanité, pourquoi n’a-t-on pas dressé des temples et des autels au Bélier, au Taureau, au Cancer, au Scorpion et autres signes célestes, lesquels ne sont pas composés d’une seule étoile, mais de plusieurs, et sont placés au plus haut des cieux avec des mouvements si justes et si réglés ? Pourquoi ne pas les mettre, sinon au rang des dieux choisis, au moins parmi les dieux de l’ordre plébéien[2] ?

CHAPITRE XVI.
D’APOLLON, DE DIANE ET DES AUTRES DIEUX CHOISIS.

Ils veulent qu’Apollon soit devin et médecin ; et cependant, pour lui donner une place dans l’univers, ils disent qu’il est aussi le soleil, et que sa sœur Diane est la lune et tout ensemble la déesse des chemins. De là vient qu’ils la font vierge, les chemins étant stériles ; et s’ils donnent des flèches au frère et à la sœur, c’est comme symbole des rayons qu’ils lancent du ciel sur la terre. Vulcain est le feu, Neptune l’eau, Dis ou Orcus l’élément inférieur et terrestre. Liber et Cérès président aux semences : le premier à celle des mâles, la seconde à celle des femelles, ou encore l’un à ce qu’elles ont de liquide, et l’autre à ce qu’elles ont de sec. Et ils rapportent tout cela au monde, c’est-à-dire à Jupiter, qui est appelé père et mère, comme répandant hors de soi toutes les semences et les recevant toutes en soi. Ils veulent encore que la grande mère des dieux soit Cérès, laquelle n’est autre chose que la terre, et qu’elle soit aussi Junon. C’est pourquoi on la fait présider aux causes secondes, quoique Jupiter, en tant qu’il est le monde entier, soit appelé, comme nous l’avons vu, père et mère des dieux. Pour Minerve, dont ils ont fait la déesse des arts, ne trouvant pas une étoile où la placer, ils ont dit qu’elle était l’éther, ou encore la lune. Vesta passe aussi pour la plus grande des déesses, en tant qu’elle est la terre, ce qui n’a pas empêché de lui départir ce feu léger mis au service de l’homme, et qui n’est pas le feu violent dont l’intendance est à Vulcain[3]. Ainsi tous les dieux choisis ne sont que le monde ; les uns le monde entier, les autres, quelques-unes de ses parties : le monde entier, comme Jupiter ; ses parties, comme Génius, la grande Mère, le Soleil et la Lune, ou plutôt Apollon et Diane ; tantôt un seul dieu en plusieurs choses, tantôt une seule chose en plusieurs dieux : un dieu en plusieurs choses, comme Jupiter, par exemple, qui est le monde entier et qui est aussi le ciel et une étoile. De même, Junon est la déesse des causes secondes, et elle est encore l’air et la terre, et elle serait en outre une étoile, si elle l’eût emporté sur Vénus. Minerve, elle aussi, est la plus haute région de l’air, ce qui ne l’empêche pas d’être en même temps la lune, qui est pourtant située dans la région la plus basse. Voici enfin qu’une seule et même chose est plusieurs dieux : le monde est Jupiter, et il est aussi Janus ; la terre est Junon, et elle est aussi la grande Mère et Cérès.

CHAPITRE XVII.
VARRON LUI-MÊME A DONNÉ COMME DOUTEUSES SES OPINIONS TOUCHANT LES DIEUX.

On peut juger, par ce qui précède, de tout le reste de la théologie des païens : ils embrouillent toutes choses en essayant de les débrouiller et courent à l’aventure, selon que les pousse ou les ramène le flux ou le reflux de l’erreur ; c’est au point que Varron a mieux aimé douter de tout que de rien affirmer sans réserve. Après avoir achevé le premier de ses trois derniers livres, celui où il traite des dieux certains, voici ce qu’il dit sur les dieux

  1. Il faut rappeler ici deux choses ; d’abord, que, selon la mythologie païenne, Saturne fut chassé de son royaume de Crète par Jupiter, son fils, puis, que la colline du Capitole était consacrée à Saturne, avant de l’être à Jupiter.
  2. Cette argumentation rappelle trait pour trait celle de Cotta contre le stoïcien Balbus, dans le De natura deorum de Cicéron (livre iii, chap. 20.)
  3. Même argument dans la bouche de Balbus chez Cicéron (De nat. deor., lib. ii, cap. 27.)