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LIVRE VI. — LES DIEUX PAIENS.
CHAPITRE III.
PLAN DES ANTIQUITÉS DE VARRON.

Les Antiquités de Varron[1] forment quarante et un livres : vingt-cinq sur les choses humaines et seize sur les choses divines. Le Traité des choses humaines est divisé en quatre parties, suivant que l’on considère les personnes, les temps, les lieux et les actions. Sur chacun de ces objets il y a six livres ; en tout vingt-quatre, plus un premier livre, qui est une introduction générale. Varron suit le même ordre pour les choses divines : considérant tour à tour les personnes qui sacrifient aux dieux, les temps, les lieux où elles sacrifient et les sacrifices eux-mêmes, il maintient exactement cette distinction subtile et emploie trois livres pour chacun de ces quatre objets ; ce qui fait en tout douze livres. Mais comme il fallait dire aussi à qui sont offerts les sacrifices, car c’est là le point le plus intéressant, il aborde cette matière dans les trois derniers livres, où il parle des dieux. Ajoutez ces trois livres aux douze précédents, et joignez-y encore un livre d’introduction sur les choses divines considérées en général, voilà les seize livres dont j’ai parlé. Dans ce qui regarde les choses divines, sur les trois livres qui traitent des personnes, le premier parle des pontifes ; le second, des augures ; le troisième, des quindécemvirs[2]. Aux trois suivants, qui concernent les lieux, Varron traite premièrement des autels privés ; secondement, des temples ; troisièmement, des lieux sacrés. Viennent ensuite les trois livres sur les temps, c’est-à-dire sur les jours de fêtes publiques, où il parle d’abord des jours fériés, puis des jeux scéniques. Enfin, les trois livres qui concernent les sacrifices traitent successivement des consécrations, des sacrifices domestiques et des sacrifices publics. Tout cela forme une espèce de pompe religieuse où les dieux marchent les derniers à la suite du cortége ; car il reste encore trois livres pour terminer l’ouvrage : l’un sur les dieux certains, l’autre sur les dieux incertains et le dernier sur les dieux principaux et choisis.

CHAPITRE IV.
IL RÉSULTE DES DISSERTATIONS DE VARRON QUE LES ADORATEURS DES FAUX DIEUX REGARDAIENT LES CHOSES HUMAINES COMME PLUS ANCIENNES QUE LES CHOSES DIVINES.

Il résulte déjà très-clairement de ce que nous avons dit, une conséquence qui deviendra plus claire encore par ce qui nous reste à dire : c’est que pour tout homme qui n’est point opiniâtre jusqu’à devenir ennemi de soi-même, il y aurait de l’impudence à s’imaginer que toutes ces belles et savantes divisions de Varron aient quelque pouvoir pour faire espérer la vie éternelle. Qu’est-ce, en effet, que tout cela, sinon des institutions tout humaines ou des inventions des démons ? Et je ne parle pas des démons que les païens appellent bons démons ; je parle de ces esprits immondes et sans contredit malfaisants, qui répandent en secret dans l’esprit des impies des opinions pernicieuses, et quelquefois les confirment ouvertement par leurs prestiges, afin d’égarer les hommes de plus en plus, et de les empêcher de s’unir à la vérité éternelle et immuable. Varron lui-même l’a si bien senti qu’il a placé dans son livre les choses humaines avant les choses divines, donnant pour raison que ce sont les sociétés qui ont commencé à s’établir, et qu’elles ont ensuite établi les cultes. Or, la vraie religion n’est point une institution de quelque cité de la terre ; c’est elle qui forme la Cité céleste, et elle est inspirée par le vrai Dieu, arbitre de la vie éternelle, qui enseigne lui-même la vérité à ses adorateurs.

Varron avoue donc que s’il a placé les choses humaines avant les divines, c’est que celles-ci sont l’ouvrage des hommes, et voici comment il raisonne : « De même, dit-il, que le peintre existe avant son tableau et l’architecte avant son édifice, ainsi les sociétés existent avant les institutions sociales ». Il ajoute qu’il aurait parlé des dieux avant de parler des hommes, s’il avait voulu dans son livre embrasser toute la nature divine ; comme s’il ne traitait que d’une partie de la nature divine et non de cette nature tout entière ! et comme si même une partie de la nature divine ne devait pas être mise avant la nature

  1. Cet ouvrage est perdu, sauf quelques rares et courts fragments, tirés pour la plupart de saint Augustin.
  2. On préposa d’abord deux magistrats nommés duumviri sacroram à la lecture des livres sacrés et à l’interprétation des oracles sibyllins. (Voyez Denys d’Halic., Antiq. lib. iv, cap. 62.) Plus tard on porta le nombre de ces magistrats à dix, decemviri sacrorum. (Voyez Tite-Live, livre vi, chap. 37, 42.) Enfin vers le temps de Sylla, il y eut quinze magistrats nommées quindecemviri sacrorum. Ce sont ceux dont parlent Varron et saint Augustin. (Voyez Servius ad Æneid., lib. vi, v. 73.)