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LA CITÉ DE DIEU

prêtent à rire à ceux qui l’ont belle sans l’avoir demandée ?), comment croire que le culte de ces dieux, inutile pour obtenir des biens passagers, où ils président uniquement, soit réellement utile pour obtenir la vie éternelle ? Ceux-là mêmes ne l’ont pas osé dire, qui, pour les faire adorer du vulgaire ignorant, ont distribué à chacun son emploi, de peur sans doute, vu leur grand nombre, qu’il n’y en eût quelqu’un d’oisif.

CHAPITRE II.
SENTIMENT DE VARRON TOUCHANT LES DIEUX DU PAGANISME, QU’IL NOUS APPREND À SI BIEN CONNAÎTRE, QU’IL LEUR EUT MIEUX MARQUÉ SON RESPECT EN N’EN DISANT ABSOLUMENT RIEN.

Où trouver, sur cette matière, des recherches plus curieuses, des découvertes plus savantes, des études plus approfondies que dans Marcus Varron, en un mot, un traité mieux divisé, plus soigneusement écrit et plus complet ? Malgré l’infériorité de son style, qui manque un peu d’agrément, il a tant de sens et de solidité, qu’en tout ce qui regarde les sciences profanes, que les païens nomment libérales, il satisfait ceux qui sont avides de choses, autant que Cicéron charme ceux qui sont avides de beau langage. J’en appelle à Cicéron lui-même, qui, dans ses Académiques nous apprend qu’il a discuté la question qui fait le sujet de son ouvrage, avec Varron[1], « l’homme, dit-il, le plus pénétrant du monde et sans aucun doute le plus savant ». Remarquez qu’il ne dit pas le plus éloquent ou le plus disert, parce qu’à cet égard l’infériorité de Varron est grande, mais il dit le plus pénétrant, et ce n’est pas tout : car il ajoute, dans un livre destiné à prouver qu’il faut douter de tout : et sans aucun doute le plus savant, comme si le savoir de Varron était la seule vérité dont il n’y eût pas à douter, et qui pût faire oublier à l’auteur, au moment de discuter le doute académique, qu’il était lui-même académicien.

Dans l’endroit du premier livre où il vante les ouvrages de Varron, il s’adresse ainsi à cet écrivain : « Nous étions errants et comme étrangers dans notre propre pays ; tes livres ont été pour nous comme des hôtes qui nous ont ramenés à la maison et nous ont appris à reconnaître notre nom et notre demeure. Par toi nous avons connu l’âge de notre patrie ; par toi, l’ordre et la suite des temps ; par toi, les lois du culte et les attributions des pontifes ; par toi, la discipline privée et publique ; par toi, la situation des lieux et des empires ; par toi, les noms, les espèces et les fonctions des dieux ; en un mot, les causes de toutes les choses divines et humaines[2] ». Si donc ce personnage si excellent et si rare, dont Térentianus a dit, dans un vers élégant et précis[3], qu’il était savant de tout point ; si ce grand auteur, qui a tant lu qu’on s’étonne qu’il ait eu le temps d’écrire, et qui a plus écrit que personne ait peut-être jamais lu ; si cet habile et savant homme avait entrepris de combattre et de ruiner les institutions dont il traite comme de choses divines, s’il avait voulu soutenir qu’il se trouvait en tout cela plus de superstition que de religion, je ne sais, en vérité, s’il aurait relevé plus qu’il n’a fait de choses ridicules, odieuses et détestables. Mais comme il adorait ces mêmes dieux, comme il croyait à la nécessité de les adorer, jusque-là qu’il avoue dans son livre la crainte qu’il a de les voir périr, moins par une invasion étrangère que par la négligence de ses concitoyens, et déclare expressément n’avoir d’autre but que de les sauver de l’oubli en les mettant sous la sauvegarde de la mémoire des gens de bien (précaution plus utile, en effet, que le dévouement de Métellus pour arracher la statue de Vesta à l’incendie[4], ou que celui d’Énée pour dérober ses dieux pénates à la ruine de Troie), comme il ne laisse pas toutefois de conserver à la postérité des traditions contraires à la piété, et à ce titre également réprouvées par les savants et par les ignorants, que pouvons-nous penser, sinon que cet écrivain, d’ailleurs si habile et si pénétrant, mais que le Saint-Esprit n’avait pas rendu à la liberté, succombait sous le poids de la coutume et des lois de son pays, et toutefois, sous prétexte de rendre la religion plus respectable, ne voulait pas faire ce qu’il y trouvait à blâmer ?

  1. Les quatre livres des Académiques dédiés à Varron sont perdus sauf un fragment du livre premier.
  2. Cicéron, Acad. quæst., lib. i, cap. 3.
  3. Voyez le traité de Térentianus : De metris, section des vers phaleuques.
  4. Voyez plus haut, livre iii, ch. 18.