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LA CITÉ DE DIEU.

rance de sa prochaine victoire. Il ne tarda pas, en effet, à vaincre le tyran Maxime, et aussitôt il rétablit le jeune Valentinien sur le trône. Ce prince étant mort peu après, par trahison ou autrement, et Eugène ayant été proclamé, sans aucun droit, son successeur, Théodose marcha contre lui, plein de foi en une prophétie nouvelle aussi favorable que la première, et défit l’armée puissante du tyran, moins par l’effort de ses légions que par la puissance de ses prières. Des soldats présents à la bataille m’ont rapporté qu’ils se sentaient enlever des mains les traits qu’ils dirigeaient contre l’ennemi ; il s’éleva, en effet, un vent si impétueux du côté de Théodose, que non-seulement tout ce qui était lancé par ses troupes était jeté avec violence contre les rangs opposés, mais que les flèches de l’ennemi retombaient sur lui-même. C’est à quoi fait allusion le poëte Claudien, tout ennemi qu’il est de la religion chrétienne, dans ces vers où il loue Théodose :


« Ô prince trop aimé de Dieu ! Éole arme en ta faveur ses légions impétueuses ; la nature combat pour toi, et les vents conjurés accourent à l’appel de tes clairons[1] ».


Au retour de cette expédition, où l’événement avait répondu à sa confiance et à ses prophétiques prévisions, Théodose fit abattre certaines statues de Jupiter, qu’on avait élevées dans les Alpes, en y attachant contre lui je ne sais quels sortilèges, et comme ses coureurs, avec cette familiarité que permet la joie de la victoire, lui disaient en riant que les foudres d’or dont ces statues étaient armées ne leur faisaient pas peur, et qu’ils seraient bien aise d’en être foudroyés, il leur en fit présent de bonne grâce. Ses ennemis morts sur le champ de bataille, moins par ses ordres que par l’emportement du combat, laissaient des fils qui se réfugièrent dans une église, quoiqu’ils ne fussent pas chrétiens ; il saisit cette occasion de leur faire embrasser le christianisme, montra pour eux une charité vraiment chrétienne, et loin de confisquer leurs biens, les leur conserva en y ajoutant des honneurs. Il ne permit à personne, après la victoire, d’exercer des vengeances particulières. Sa conduite dans la guerre civile ne ressembla nullement à celle de Cinna, de Marius, de Sylla et de tant d’autres, qui sans cesse recommençaient ce qui était fini ; lui, au contraire, déplora la lutte quand elle prit naissance, et ne voulut en abuser contre personne quand elle prit fin. Au milieu de tant de soucis, il fit dès le commencement de son règne des lois très-justes et très-saintes en faveur de l’Église, que l’empereur Valens, partisan des Ariens, avait violemment persécutée ; c’était à ses yeux un plus grand honneur d’être un des membres de cette Église que d’être le maître de l’univers. Il fit abattre partout les idoles, persuadé que les biens mêmes de la terre dépendent de Dieu et non des démons. Mais qu’y a-t-il de plus admirable que son humilité, quand, après avoir promis, à la prière des évêques, de pardonner à la ville de Thessalonique, et s’être laissé entraîner à sévir contre elle par les instances bruyantes de quelques-uns de ses courtisans, rencontrant tout à coup devant lui la courageuse censure de l’Église, il fit une telle pénitence de sa faute que le peuple, intercédant pour lui avec larmes, fut plus affligé de voir la majesté de l’empereur humiliée qu’il n’avait été effrayé de sa colère. Ce sont ces bonnes œuvres et d’autres semblables, trop longues à énumérer, que Théodose a emportées avec lui quand, abandonnant ces grandeurs humaines qui ne sont que vapeur et fumée, il est allé chercher la récompense que Dieu n’a promise qu’aux hommes vraiment pieux. Quant aux biens de cette vie, honneurs ou richesses, Dieu les donne également aux bons et aux méchants, comme il leur donne le monde, la lumière, l’air, l’eau, la terre et ses fruits, l’âme, le corps, les sens, la raison et la vie ; et dans ces biens il faut comprendre aussi les empires, si grands qu’ils soient, que Dieu dispense selon les temps dans les conseils de sa providence.

Il s’agit maintenant de répondre à ceux qui, étant convaincus par les preuves les plus claires que la multitude des faux dieux ne sert de rien pour obtenir les biens temporels, seuls objets que désirent les hommes de peu de sens, se réduisent à prétendre qu’il faut les adorer, non en vue des avantages de la vie présente, mais dans l’intérêt de la vie future. Quant aux païens obstinés qui persistent à les servir pour les biens de ce monde, et se plaignent de ce qu’on ne leur permet pas de s’abandonner à ces vaines et ridicules superstitions, je crois leur avoir assez répondu dans ces cinq livres. Au moment où je publiais les trois premiers, et quand ils étaient déjà entre

  1. Paneg. de tert. Honor. cons., v. 96-98.