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LIVRE V. — ANCIENNES MŒURS DES ROMAINS.

voir leurs œuvres : « Que vos actions, dit-il, brillent devant les hommes, afin qu’en les voyant ils glorifient votre Père qui est dans les cieux[1] ». Comme s’il disait : Faites le bien, non pour que les hommes vous voient, non pour qu’ils s’attachent à vous, puisque par vous-mêmes vous n’êtes rien, mais pour qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux, et que, s’attachant à lui, ils deviennent ce que vous êtes. Voilà le précepte dont se sont inspirés tous ces martyrs qui ont surpassé les Scévola, les Curtius et les Décius, non moins par leur nombre que par leur vertu ; vertu vraiment solide, puisqu’elle était fondée sur la vraie piété, et qui consistait, non à se donner la mort, mais à savoir la souffrir. Quant à ces Romains, enfants d’une cité terrestre, comme ils ne se proposaient d’autre fin de leur dévouement pour elle que sa conservation et sa grandeur, non dans le ciel, mais sur la terre, non dans la vie éternelle, mais sur ce théâtre mobile du monde, où les morts sont remplacés par les mourants, qu’aimaient-ils, après tout, sinon la gloire qui devait les faire vivre, même après leur mort, dans le souvenir de leurs admirateurs ?

CHAPITRE XV.
DE LA RÉCOMPENSE TEMPORELLE QUE DIEU A DONNÉE AUX VERTUS DES ROMAINS.

Si donc Dieu, qui ne leur réservait pas une place dans sa cité céleste à côté de ses saints anges, parce qu’il ne les donne qu’à la piété véritable, à celle qui rend à Dieu seul, pour parler comme les Grecs, un culte de latrie[2], si Dieu, dis-je, ne leur eût pas donné la gloire passagère d’un empire florissant, les vertus qu’ils ont déployées afin de parvenir à cette gloire seraient restées sans récompense ; car c’est en parlant de ceux qui font un peu de bien pour être estimés des hommes, que le Seigneur a dit : « Je vous dis en vérité qu’ils ont reçu leur récompense[3] ». Ainsi il est vrai que les Romains ont immolé leurs intérêts particuliers à l’intérêt commun, c’est-à-dire à la chose publique, qu’ils ont surmonté la cupidité, préférant accroître le trésor de l’État que leur propre trésor, qu’ils ont porté dans les conseils de la patrie une âme libre, soumise aux lois, affranchie du joug des vices et des passions ; et toutes ces vertus étaient pour eux le droit chemin pour aller à l’honneur, au pouvoir, à la gloire. Or, ils ont été honorés parmi presque toutes les nations ; ils ont imposé leur pouvoir à un très-grand nombre, et dans tout l’univers, les poëtes et les historiens ont célébré leur gloire ; ils n’ont donc pas sujet de se plaindre de la justice du vrai Dieu : ils ont reçu leur récompense.

CHAPITRE XVI.
DE LA RÉCOMPENSE DES CITOYENS DE LA CITÉ ÉTERNELLE, A QUI PEUT ÊTRE UTILE L’EXEMPLE DES VERTUS DES ROMAINS.

Mais il n’en est pas de même de la récompense de ceux qui souffrent ici-bas pour la Cité de Dieu, objet de haine à ceux qui aiment le monde. Cette Cité est éternelle ; personne n’y prend naissance, parce que personne n’y meurt ; là règne la véritable et parfaite félicité, qui n’est point une déesse, mais un don de Dieu. C’est de là que nous avons reçu le gage de la foi, nous qui passons le temps de notre pèlerinage à soupirer pour la beauté de ce divin séjour. Là, le soleil ne se lève point sur les bons et sur les méchants, mais le Soleil de justice n’y éclaire que les bons. Là, on ne sera point en peine d’enrichir le trésor public aux dépens de sa fortune privée, parce qu’il n’y a qu’un trésor de vérité commun à tous. Aussi ce n’a pas été seulement pour récompenser les Romains de leurs vertus que leur empire a été porté à un si haut point de grandeur et de gloire, mais aussi pour servir d’exemple aux citoyens de cette Cité éternelle et leur faire comprendre combien ils doivent aimer la céleste patrie en vue de la vie éternelle, puisqu’une patrie terrestre a été, pour une gloire tout humaine, tant aimée de ses enfants.

CHAPITRE XVII.
LES VICTOIRES DES ROMAINS NE LEUR ONT PAS FAIT UNE CONDITION MEILLEURE QUE CELLE DES VAINCUS.

Pour ce qui est de cette vie mortelle qui dure si peu, qu’importe à l’homme qui doit mourir d’avoir tel ou tel souverain, pourvu qu’on n’exige de lui rien de contraire à la jus-

  1. Matt. v, 16.
  2. La théologie chrétienne distingue deux sortes de cultes : le culte de dulie (du grec δουλεία), qui est dû à Dieu en tant que Seigneur, et le culte de latrie (du grec λατρεία), qui est dû à Dieu en tant que Dieu, c’est-à-dire à Dieu seul.
  3. Matt. vi, 2.