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point avec elle : car, comme nous la conservons par le souvenir, la voyons par la pensée et l’aimons par la volonté, dans cette vie présente ; de même, dans l’autre vie, le souvenir et la vue que nous en conservons, étant unis par la volonté se posant en tiers, ce sera toujours la même trinité, Et si elle n’avait laissé chez nous aucune trace en passant, nous n’en aurions évidemment rien conservé dans notre mémoire à quoi pût se rattacher un souvenir, et la volonté ne pourrait en aucune façon former le lien entre ces deux choses, à savoir ce qui était dans la mémoire quand nous n’y pensions pas, et la vue qui s’en forme quand nous y pensons. Mais celui qui soulève cette difficulté ne fait pas attention que la trinité qui se forme actuellement quand nous conservons, voyons et aimons en nous notre foi présente, n’est point celle qui se formera dans l’avenir, quand nous verrons par le souvenir, non plus la foi elle-même, mais sa trace imaginaire, pour ainsi dire, renfermée dans la mémoire, et que nous unirons par la volonté ces deux choses : ce qui existait dans la mémoire et l’impression qui en résulte dans le regard de la pensée appliquée au souvenir. Pour rendre ceci intelligible, prenons un exemple dans ces mêmes choses matérielles dont j’ai parlé assez longuement dans le onzième livre (Ch., II et suiv. ). En effet, en montant des choses inférieures aux choses supérieures, ou en rentrant du dehors au dedans, nous trouvons une première trinité dans le corps qui est vu, dans l’impression que son aspect produit dans l’œil de celui qui le voit et dans l’attention de la volonté qui les unit, Etablissons-en une analogie dont les termes seront : la foi renfermée dans notre mémoire comme ce corps l’est dans l’espace ; le regard de la pensée qui se forme de la mémoire, comme l’impression de l’œil se forme du corps qui est vu ; puis, pour compléter la trinité, la volonté se posant en tiers afin d’unir et de lier la foi conservée dans la mémoire et son image imprimée dans le regard du souvenir, comme elle unit, dans la trinité de la vision corporelle, la forme du corps visible et l’image ressemblante qui s’en forme dans l’œil du spectateur. Supposons maintenant que ce corps visible a disparu et qu’il n’en reste rien nulle part à quoi le regard puisse recourir : parce que l’image de cet objet matériel disparu reste dans la mémoire, que de cette image se forme le regard de la pensée au moyen du souvenir, et que la volonté, elle troisième, les unit l’un à l’autre, dira-t-on que c’est la même trinité que celle qui existait quand le corps était réellement présent ? Non certes ; il y a une très-grande différence, au contraire ; car outre que l’une était extérieure et que l’autre est intérieure, celle-là avait pour principe la présence de l’objet matériel, tandis que celle-ci est fondée sur l’image du passé. Ainsi en est-il dans le cas qui nous occupe, et pour l’éclaircissement duquel nous avons produit cet exemple ; la foi qui est maintenant dans notre âme, comme ce corps était dans l’espace forme une espèce de trinité tant qu’elle est possédée, vue et aimée ; mais ce ne sera plus la même trinité, quand cette foi aura disparu de notre âme, comme ce corps a disparu de l’espace. Et celle que nous posséderons alors au souvenir de celle-ci, sera tout à fait différente. L’une en effet a pour principe une chose présente et fixée dans l’âme des croyants ; tandis que l’autre ne sera établie que sur le souvenir d’une chose passée, représentée à l’imagination par la mémoire.


CHAPITRE IV.

C’EST DANS L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME RAISONNABLE QU’IL FAUT CHERCHER L’IMAGE DE DIEU. COMMENT LA TRINITÉ SE FAIT VOIR DANS L’ÂME.


6. Ainsi donc la trinité qui n’est pas maintenant l’image de Dieu, ne le sera pas davantage un jour, et celle qui doit cesser un jour, ne l’est pas davantage : c’est dans l’âme de l’homme, c’est-à-dire dans l’âme raisonnable et intelligente, qu’il faut trouver l’image du Créateur : empreinte immortelle sur une substance immortelle. Car, de même que l’immortalité de l’âme doit s’entendre avec certaine restriction — puisque l’âme a aussi son genre de mort, lorsqu’elle est privée de la vie bienheureuse qui est sa véritable vie — et que cependant on l’appelle immortelle parce que, quelle que soit sa vie, fût-elle entièrement malheureuse, elle ne cessera jamais de vivre : ainsi quoique la raison ou l’intelligence paraisse tantôt assoupie, tantôt petite, tantôt grande, chez elle ; cependant elle ne laisse jamais d’être une âme raisonnable ou intelligente. Donc si elle