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CHAPITRE XII. PAR LE PÉCHÉ D’ADAM, TOUS LES HOMMES ONT ÉTÉ LIVRÉS AU POUVOIR DU DÉMON.

16. En vertu d’un certain décret de la justice divine, le genre humain a été livré au pouvoir du démon, le péché du premier homme se transmettant originellement chez tous ceux qui naissent de l’union de l’homme et de la femme, et la dette des premiers parents engageant tous leurs descendants. Cette tradition est consignée en premier lieu dans la Genèse, où après avoir dit au serpent : « Tu mangeras de la terre », Dieu a dit à l’homme : « Tu es terre et tu retourneras en terre (Gen., III, 14, 19 ) ». Ces mots : « Tu retourneras en « terre », contiennent un arrêt de mort contre le corps, qui n’aurait pas dû mourir, si l’homme eût persévéré dans l’état de justice où il avait été créé ; mais en disant à l’homme vivant : « Tu es terre », Dieu indique que l’homme tout entier a subi une déchéance. En effet : « Tu es terre », est l’équivalent de : « Mon esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu’ils sont chair (Id., VI, 3 ) ». Le Seigneur faisait donc voir par là que l’homme était livré à celui à qui il avait été dit : « Tu mangeras de la terre ». C’est ce que l’Apôtre explique plus clairement quand il dit : « Et vous, il vous a vivifiés, lorsque vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels autrefois vous avez marché, selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l’air, de l’esprit qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance, parmi lesquels nous tous aussi nous avons vécu, selon nos désirs charnels, faisant la volonté de la chair et de nos pensées ; ainsi nous étions par nature enfants de colère comme tous les autres (Eph., II, 3 ) ». Les fils de défiance sont les infidèles : et qui ne l’a pas été avant d’être fidèle ? C’est pourquoi tous les hommes sont originellement sous le prince des puissances de l’air, « qui agit efficacement sur les fils de défiance ». Et quand je dis originellement, j’entre dans la pensée de l’Apôtre qui s’accuse d’avoir été « par nature » comme les autres : par la nature dégradée par le péché, et non plus dans l’état de justice où elle avait été créée. Quant à la manière dont l’homme a été livré au pouvoir du démon, il ne faut pas entendre que ce soit par un acte ou un ordre de Dieu, mais seulement par sa permission, juste pourtant. Dès qu’il a eu abandonné le pécheur, l’auteur du péché a fait irruption. Et encore Dieu n’a pas tellement abandonné sa créature qu’il n’ait continué à lui faire sentir son action créatrice et vivifiante, et qu’il n’ait mélangé de beaucoup de biens les maux qui sont la peine du péché : car il n’a pas enchaîné sa miséricorde dans sa colère (Ps., LXXVI, 10 ). Et en permettant que l’homme fût au pouvoir du démon, il n’a pas pour cela perdu ses droits sur lui : puisque le démon lui-même n’est pas soustrait au pouvoir du Tout-Puissant, pas même à sa bonté. Car de qui les mauvais anges tiennent-ils leur existence, quelle qu’elle soit, sinon de celui qui donne la vie à tout ? Si donc, par un juste effet de la colère de Dieu, l’acte du péché a jeté l’homme sous l’empire du démon ; par la bienveillante réconciliation de ce même Dieu, la rémission des péchés arrache l’homme à l’esclavage du démon.

CHAPITRE XIII. CE N’EST PAS PAR UN ACTE DE PUISSANCE, MAIS PAR UN ACTE DE JUSTICE, QUE L’HOMME A DU ÊTRE ARRACHÉ AU POUVOIR DU DÉMON.

17. Ce n’est pas par la puissance, mais par la justice de Dieu que le démon a dû être vaincu. Cependant qu’y a-t-il de plus puissant que le Tout-Puissant ? quelle puissance créée peut être comparée à la puissance du Créateur ? Mais le démon, par l’effet de sa propre perversité, étant devenu avide de pouvoir, et ayant abandonné et combattu la justice ; et les humains suivant son exemple d’autant plus près qu’ils abandonnent ou haïssent davantage la justice, pour s’attacher au pouvoir, se réjouir de l’avoir acquis ou brûler du désir de l’obtenir : Dieu a pensé que pour arracher l’homme au pouvoir du démon, il fallait vaincre celui-ci, non par la puissance, mais par la justice, afin que les hommes, à l’imitation du Christ, vainquissent le démon par la justice, et non par la puissance. Non qu’il faille rejeter la puissance comme un mal : mais il faut rester dans l’ordre, qui assigne à la justice le premier rang. Et au fait, quel peut être le pouvoir des mortels ? qu’ils restent fidèles à la justice tant qu’ils sont mortels : le pouvoir leur viendra quand ils seront immortels. Comparé à celui-ci, le pouvoir des hommes