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des bonnes œuvres, après même que nous nous en sommes rendus indignes par nos fautes ? 14. Car ce que nous appelons nos mérites, ne sont pas autre chose que ses dons. En effet, pour que la foi agisse par la charité (Gal., V, 6 ), « la charité de Dieu est répandue en nos cœurs par l’Esprit- Saint qui nous a été donné (Rom., V, 5) ». Or l’Esprit nous a été donné après que Jésus a été glorifié par sa résurrection. Il avait promis de l’envoyer alors, et il l’a envoyé (Jean, XX, 22, VII, 39, XV, 26. ) ; parce que c’était alors que s’était vérifié ce qui avait été écrit et prédit de lui : « Montant au ciel, il a conduit une captivité captive : il a donné des dons aux hommes ( Eph., IV, 8 ; Ps., LXVII, 19 ) ». Ces dons, ce sont nos mérites, à l’aide desquels nous parvenons au souverain bien, l’immortelle félicité. « Dieu », dit l’Apôtre, « témoigne son amour pour nous en ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère ». Ceux qu’il appelait d’abord pécheurs, il les appelle ensuite ennemis de Dieu ; ceux qu’il disait justifiés parle sang du Christ, il les dit ensuite réconciliés par la mort du Fils de Dieu ; ceux qu’il faisait voir délivrés par lui de la colère, il les montre ensuite délivrés par sa vie. Ainsi, avant d’avoir reçu cette grâce, nous n’étions pas des pécheurs quelconques, mais pécheurs jusqu’à être ennemis de Dieu. Or, plus haut le même Apôtre nous avait appliqué, à nous pécheurs et ennemis de Dieu, deux expressions, dont l’une semble un terme radouci, mais dont l’autre est un terme effrayant, quand il disait : « En effet, le Christ, lorsque nous étions encore infirmes, est mort, au temps marqué, pour des impies (Rom., V, 6-10 ) ». Ces infirmes, il les appelle impies. Sans doute l’infirmité est peu grave par elle-même ; mais elle peut aller jusqu’à s’appeler impiété. Or, s’il n’y avait pas d’infirmité, il n’y aurait pas besoin de médecin ; et c’est le sens du mot hébreu « Jésus », en grec Soter en latin « Salvator ». La langue latine ne connaissait pas ce mot ; elle pouvait se le donner, et elle l’a pris dès qu’elle l’a voulu. Mais ces mots de l’Apôtre : « Lorsque nous étions encore infirmes, il est mort, au temps marqué, pour « des impies », se rattachent étroitement aux deux expressions de pécheurs et d’ennemis de Dieu qui viennent ensuite, comme s’il eût voulu rapprocher l’infirmité et le péché, l’inimitié de Dieu et l’impiété.

CHAPITRE XI. DIFFICULTÉ : COMMENT SOMMES-NOUS JUSTIFIÉS PAR LE SANG DU FILS DE DIEU ?

15. Mais qu’est-ce que cela veut dire : « Justifiés par son sang ? » Quelle est donc, je vous demande, la puissance de ce sang, pour que les croyants soient justifiés par lui ? et que signifient ces mots : « Réconciliés par la mort de son Fils ? » Serait-ce que Dieu le Père irrité contre nous, aurait déposé sa colère en voyant son Fils mourir pour nous ? serait-ce que son Fils était déjà si bien réconcilié avec nous, qu’il ait daigné mourir pour nous, tandis que le Père était encore irrité au point de ne pardonner qu’à condition que son Fils mourrait pour nous ? Et que signifie cet autre passage du Docteur des nations : « Que dirons-nous donc après cela ? si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (Rom., VIII, 31, 32 ) ? » Est-ce que si le Père n’eût pas été déjà apaisé il aurait livré son propre Fils pour nous, sans aucun ménagement ? Tout cela n’a-t-il pas l’air de se contredire ? d’une part, le Fils meurt pour nous, et par sa mort le Père se réconcilie avec nous ; d’autre part, comme si le Père eût été le premier à nous aimer, par égard pour nous il n’épargne pas son Fils et le livre pour nous à la mort. Je vois même que le Père nous a aimés plus tôt encore, non-seulement avant que son Fils mourût, mais même avant de créer le monde, ainsi que l’Apôtre en rend témoignage en disant : « Comme il nous a élus en lui avant la fondation du monde (Eph., I, 4 ) ». Et le Fils, que le Père ménage si peu, n’a pas été livré pour nous malgré lui ; car c’est de lui qu’on a dit : « Qui m’a aimé et s’est lui-même livré pour moi (Gal., II, 29 ) ». Donc le Père et le Fils et leur Esprit commun font tout ensemble et dans un parfait accord. Néanmoins nous avons été justifiés par le sang du Christ, et nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils. C’est ce que je vais expliquer du mieux que je pourrai et autant que cela me paraîtra nécessaire.