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première fois que nous les entendions, mais celles que nous avions entendues, — et non-seulement ces paroles, mais aussi leurs significations — nous les connaissions, nous les tenions dans notre mémoire, et nous n’avons fait que les reconnaître ici. Le dissyllabe « monde n, par exemple, en tant que son, est une chose matérielle et se perçoit par le corps, c’est-à-dire par l’oreille ; mais ce qu’il signifie est aussi connu par le corps, c’est-à-dire par les yeux de la chair. En effet le monde, en tant qu’il est connu, est connu par la vue. Mais ce mot de quatre syllabes, crediderunt (ils ont cru), en tant que son, est aussi connu par l’oreille de la chair, puisqu’il est matériel ; seulement ce n’est plus le sens du corps, mais la raison de l’âme, qui en fait connaître la signification. En effet, si nous ne connaissions pas par notre âme ce que signifie : Ils n’ont pas cru, nous ne saurions pas quelle est la chose que n’ont pas voulu faire ceux dont on dit : « Et les siens ne l’ont pas reçu ». Le son du mot frappe donc extérieurement les oreilles du corps, et atteint le sens qu’on appelle l’ouïe. La forme de l’homme est également une connaissance imprimée en nous-mêmes, et extérieurement présente aux divers sens du corps : aux yeux, quand on le voit ; aux oreilles, quand on l’entend ; au toucher, quand on le tient et qu’on le touche ; notre mémoire en garde même l’image, incorporelle il est vrai, niais semblable à un corps. Le monde enfin, cette merveilleuse beauté, est aussi extérieurement présent et à nos yeux, et. à ce sens qu’on appelle le toucher, quand nous en touchons quelque chose ; mais, au dedans de nous encore, notre mémoire en garde l’image à laquelle nous recourons par la pensée, quand nous sommes renfermés entre des murailles ou plongés dans les ténèbres. Du reste, nous nous sommes assez étendu, dans le onzième livre, sur ces images des choses matérielles, immatérielles elles-mêmes, mais semblables aux corps et appartenant à la vie de l’homme extérieur. Maintenant il s’agit de l’homme intérieur et de sa science des choses temporelles et changeantes. Quand, pour atteindre son but, cette science emprunte quelque chose à ce qui appartient à l’homme extérieur, ce doit être pour en tirer un enseignement à l’appui de la science rationnelle. C’est ainsi que l’usage rationnel de ce que nous avons de commun avec les animaux privés de raison, appartient à l’homme intérieur, et on ne peut dire qu’il nous soit commun avec les animaux privés de raison.

CHAPITRE II. LA FOI VIENT DU COEUR ET NON DU CORPS ELLE EST EN MÊME TEMPS COMMUNE ET INDIVIDUELLE CHEZ TOUS LES CROYANTS.

5. Or la foi, dont notre raison sent le besoin de parler plus longuement dans ce livre, celle dont la possession fait ce qu’on appelle les fidèles, et la privation, les infidèles — les infidèles, comme ceux qui n’ont pas reçu le Fils de Dieu venant chez lui — la foi, dis-je, bien qu’elle nous vienne par tradition, n’appartient cependant pas à ce sens du corps qu’on appelle l’ouïe, parce qu’elle n’est pas un son ; ni aux yeux de la chair, parce qu’elle n’est ni une couleur, ni une forme de corps ; ni au sens qu’on appelle le toucher, parce qu’elle n’a rien de palpable ; ni enfin à aucun sens corporel, parce qu’elle est une affaire de cœur, et non de corps. Elle n’est point non plus en dehors de nous, mais au plus intime de notre être ; personne ne la voit chez un autre, mais chacun la voit en soi. Enfin elle peut n’exister qu’en apparence et être supposée là où elle n’est pas. Ainsi, chacun voit en soi sa propre foi ; il la croit chez un autre sans la voir, et l’y croit avec d’autant plus d’assurance, qu’il aperçoit mieux les fruits qu’elle a coutume de produire par la charité (Gal., V, 6 ). C’est pourquoi elle est commune à tous ceux dont l’Evangéliste parle, quand il ajoute : « Mais il a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, à tous ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom ; qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Cette foi, dis-je, est commune, non pas à la manière d’une forme corporelle, visible pour tous les yeux, mais à peu près dans le sens où l’on dit de la figure humaine qu’elle est commune à tous les hommes, bien que chacun ait la sienne. C’est en effet, avec la plus parfaite vérité, que nous disons que la foi de ceux qui croient la même chose provient d’une doctrine absolument une. Mais autre chose sont les objets de la foi, autre chose la foi elle-même. Ceux-là consistent en des choses que l’on dit être