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l’intelligence, la volonté ne sont pas trois vies, mais une seule vie, ni trois âmes, mais une seule âme ; elles ne sont donc pas trois substances, mais une seule substance. En effet, la mémoire, en tant qu’elle est appelée vie, âme, substance, se prend dans le sens absolu ; elle n’est proprement mémoire qu’autant qu’elle se rapporte à quelque chose. Il en faut dire autant de l’intelligence et de la volonté, qui ne s’appellent ainsi que dans un sens relatif. Mais chacune d’elle est vie, âme, essence, considérée en elle-même et dans le sens absolu. Ces trois choses sont donc une seule chose par le fait, qu’elles sont une seule vie, une seule âme, une seule essence ; et chaque fois qu’on nomme l’une d’elles en la prenant en elle-même, on lui donne un nom singulier et non pluriel, même quand elle est réunie aux autres. Mais elles sont trois choses, quand on les considère dans leurs rapports mutuels ; et si elles n’étaient pas égales, non-seulement l’une vis-à-vis de l’autre, mais chacune vis-à-vis de toutes, elles ne se contiendraient évidemment pas mutuellement. Or, non-seulement, une contient l’autre, mais une les contient toutes. En effet, je me souviens que j’ai la mémoire, l’intelligence et la volonté ; je comprends que je comprends, que je veux et que je me souviens ; je veux vouloir, me souvenir et comprendre ; et je me souviens à la fois de toute ma mémoire, de toute mon intelligence et de toute ma volonté. Car les souvenirs que je ne me rappelle pas, ne sont plus dans ma mémoire. Or, rien n’est autant dans ma mémoire que ma mémoire même. Je me souviens donc de toute ma mémoire. De même je sais que je comprends tout ce que je comprends, et je sais que je veux tout ce que je veux. Or je me souviens de tout ce que je sais. Je me souviens donc de toute mon intelligence et de toute ma volonté. Egalement quand je comprends ces trois choses, je les comprends tout entières. Car si je ne comprends pas quelque chose d’intelligible, c’est que je l’ignore. Or, ce que j’ignore et ne me rappelle pas, je ne le veux pas. Donc s’il est quelque chose d’intelligible que je ne comprenne pas, je ne puis m’en souvenir ni le vouloir. Donc je comprends tout objet intelligible, dont je me souviens et que je veux. Car ma volonté embrasse toute mon intelligence et toute ma mémoire, puisque j’use de tout ce que je comprends et de tout ce que je me rappelle. Donc puisque chacune de ces facultés comprend toutes les autres, chacune d’elles est égale à chacune en particulier et à toutes ensemble ; et par conséquent les trois sont une seule vie, une seule âme et une seule essence.


CHAPITRE XII.

L’ÂME EST L’IMAGE DE LA TRINITÉ DANS SA MÉMOIRE, SON INTELLIGENCE ET SA VOLONTÉ.

19. Faut-il enfin monter maintenant, autant que le permettront nos forces, à cette souveraine et sublime essence dont l’âme de l’homme est l’image imparfaite, il est vrai, mais enfin l’image ? Ou bien faut-il encore faire ressortir plus visiblement ces trois facultés de l’âme, au moyen des objets extérieurs perçus par les sens, instruments passagers des impressions matérielles ? En étudiant l’âme dans sa mémoire, son intelligence et sa volonté, nous avons trouvé que puisqu’elle embrasse toujours sa propre connaissance et sa propre volonté, elle embrasse en même temps sa mémoire, son intelligence et son amour, bien qu’elle ne se croie pas toujours dégagée d’éléments étrangers et que, par là, il soit difficile de bien distinguer la mémoire et l’intelligence qu’elle a d’elle-même. En effet, il semble que ce ne soit pas là deux facultés, mais une seule sous deux noms différents comme on le voit dans le cas où elles sont réunies sans que l’une précède l’autre d’un seul instant. Et l’amour non plus n’est pas toujours senti quand le besoin ne le trahit pas, parce que son objet est toujours présent. Toutefois ces difficultés pourront s’éclaircir, même pour les moins intelligents, quand nous traiterons de l’action du temps sur l’âme, des accidents passagers qu’elle éprouve, alors qu’elle se rappelle ce qu’elle ne se rappelait pas, qu’elle voit ce qu’elle ne voyait pas et qu’elle aime ce qu’elle n’aimait pas auparavant. Mais cette dissertation demande d’autres préliminaires, d’après le plan adopté pour cet ouvrage.