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sait sans doute ce qu’elle cherche. Or, si elle sait ce qu’elle cherche, et si elle se cherche elle-même, évidemment elle se connaît. Que cherche-t-elle donc de plus ? Si elle se connaît seulement en partie, et se cherche encore en partie, ce n’est pas elle-même, mais une partie d’elle-même qu’elle cherche. Car quand on parle d’elle, on parle d’elle tout entière. De plus, dès l’instant qu’elle sait qu’elle ne s’est pas encore trouvée tout entière, c’est qu’elle connaît toute son étendue. Elle cherche donc ce qui lui manque, comme nous cherchons nous-mêmes à rappeler à notre mémoire une chose oubliée, mais non entièrement effacée, et où l’on reconnaîtra, si elle se présente, ce que l’on cherchait. Mais comment l’âme se rappellera-t-elle l’âme, comme s’il était possible que l’âme ne fût pas dans l’âme ? Ajoutons que si, s’étant trouvée en partie, elle ne se cherche pas tout entière, c’est du moins elle tout entière qui se cherche. Elle est donc tout entière présente à elle-même, et il ne lui reste plus rien à chercher ; car ce n’est pas elle qui cherche, mais l’objet de sa recherche qui fait défaut. Donc quand c’est elle tout entière qui se cherche, il ne lui manque rien d’elle-même. Ou si ce n’est pas elle tout entière qui cherche, mais qu’une partie déjà trouvée cherche la partie qui n’est pas encore trouvée ; ce n’est donc pas l’âme qui se cherche, puisque aucune partie ne se cherche. En effet, la partie déjà trouvée ne se cherche pas ; la partie non encore trouvée ne se cherche pas non plus, puisqu’elle est cherchée par la partie trouvée. Par conséquent, comme ce n’est pas l’âme tout entière qui se cherche, ni qu’aucune de ses parties ne se cherche, l’âme ne se cherche en aucune façon.


CHAPITRE V.

POURQUOI IL EST ORDONNÉ DE SE CONNAÎTRE. D’OU VIENNENT LES ERREURS DE L’ÂME SUR SA PROPRE SUBSTANCE.


7. Pourquoi donc lui ordonne-t-on de se connaître ? C’est, je crois, pour qu’elle pense à elle-même et pour qu’elle vive conformément à sa nature, c’est-à-dire pour qu’elle désire être réglée selon sa nature, au-dessous de celui à qui elle doit être soumise, au dessus des êtres qu’elle doit dominer ; au-dessous de celui par qui elle doit être gouvernée, au dessus des êtres qu’elle doit gouverner. Car elle fait bien des choses par une coupable cupidité, comme si elle s’oubliait elle-même. En effet elle découvre, d’une vue intérieure, certaines beautés dans une nature supérieure qui est Dieu ; et quand elle devrait se contenter d’en jouir, elle vent se les approprier, devenir semblable à lui, non par lui, mais par elle-même ; elle se détourne de lui, s’agite et tombe de plus bas en plus bas, en croyant monter de plus haut en plus haut, parce qu’elle ne se suffit pas à elle-même, et que rien ne lui suffit quand elle s’éloigne de celui qui peut seul suffire. Ainsi, par l’effet de son indigence et des difficultés qu’elle rencontre, elle se livre avec une ardeur excessive à sa propre opération et aux inquiètes jouissances qu’elle en recueille. Puis, par le désir d’acquérir au dehors des connaissances, dont elle connaît le genre, qu’elle aime, mais qu’elle sent qu’on peut perdre, si on ne les maintient à force de travail, elle perd sa sécurité, et se néglige elle-même d’autant plus qu’elle est plus assurée de ne pouvoir se perdre. Ainsi comme autre chose est de ne pas se connaître, autre chose de ne pas penser à soi — nous ne dirons pas en effet d’un homme très-instruit qu’il ignore la grammaire, parce qu’il la néglige momentanément pour s’occuper de la médecine — comme, dis-je, autre chose est de ne pas se connaître, autre chose de ne pas penser à soi, la puissance de l’amour est telle que, même quand l’âme rentre en quelque sorte chez elle pour s’occuper. d’elle-même, elle attire à elle les objets qu’elle a étudiés avec passion et auxquels elle s’est pour ainsi dire collée par la glu du souci. Et comme les objets qu’elle a goûtés par les sens corporels et dans lesquels une longue familiarité l’a enchevêtrée, sont des corps, et qu’elle ne peut, en rentrant chez elle, introduire des corps dans une région immatérielle, elle recueille et emporte avec elle leurs images, créées d’elle-même et en elle-même. En effet elle leur communique quelque chose de sa propre substance, tout en perdant aussi quelque chose pour porter un jugement libre sur ces sortes d’images, et c’est là proprement l’âme, c’est à dire l’intelligence raisonnable qui se réserve pour juger. Car nous sentons que cette faculté de l’âme de conserver les images des corps, nous est commune avec les animaux.