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et ne s’appellent point des paroles ; telles sont celles 4ont il s’agit maintenant. Car qu’on appelle paroles les sons formés de syllabes dans l’espace et dans le temps, soit qu’ils sortent de la bouche, soit qu’ils restent dans l’esprit ; qu’on donne encore ce nom à tout ce qui est connu et imprimé dans l’âme, tant qu’on peut l’extraire de la mémoire, bien qu’on le désapprouve ; enfin : qu’on applique ce mot à un objet conçu et approuvé par l’âme : ce sont là trois sens différents. C’est dans ce dernier qu’il faut entendre ce passage de l’Apôtre : « Personne ne peut dire, Seigneur Jésus, que par l’Esprit-Saint (I Cor., XII, 3 ) » ; tandis qu’il faut entendre dans un autre sens le langage de ceux dont parle le Seigneur : . « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux (Matt., VII, 21 ) ». Cependant quand les objets qui nous déplaisent nous inspirent une juste aversion et que cette aversion est justement approuvée, nous approuvons alors la désapprobation ; elle nous plaît, c’est une parole d’ailleurs, ce n’est point la connaissance du vice, mais le vice même, qui nous déplaît. Par exemple ; j’ai du plaisir à connaître et à définir l’intempérance ; voilà sa parole : c’est ainsi qu’il y a dans un art des défauts connus, et dont la connaissance est justement approuvée, quand le connaisseur distingue l’espèce et l’absence de qualité, comme on distingue le oui du non, l’être du néant ; et pourtant manquer d’une qualité et tomber dans un défaut, est chose blâmable. Définir l’intempérance et en prononcer le nom, est i’affaire de la morale ; mais être intempérant, voilà ce que la morale réprouve. De même savoir ce que c’est qu’un solécisme et le définir, c’est l’affaire de la grammaire ; mais commettre un solécisme, c’est ce que la grammaire réprouve comme une faute. Ainsi donc, pour nous en tenir à notre sujet et au but que nous nous proposons, la parole est la connaissance accompagnée d’amour. Quand l’âme se connaît et s’aime, sa parole s’unit à elle par l’amour. Et comme elle aime sa connaissance et connaît son amour, la parole est dans l’amour et l’amour dans la parole, et tous les deux sont en elle qui aime et qui parle.


CHAPITRE XI. L’IMAGE OU LA PAROLE ENGENDRÉE DE L’AME QUI SE CONNAÎT EST ÉGALE A L’ÂME ELLE-MÊME.


16. Mais toute connaissance spéciale est semblable à la chose, objet de cette connaissance. Car il y a une autre connaissance au point de vue de la privation, que nous exprimions quand nous désapprouvons. Et cette désapprobation de la privation est un éloge de l’espèce, et c’est pour cela que nous l’approuvons. L’âme a donc une certaine ressemblance avec l’espèce qu’elle connaît, soit qu’elle approuve cette espèce, soit qu’elle en désapprouve la privation. Voilà pourquoi nous sommes semblables à Dieu dans la mesure où nous le connaissons ; mais cette ressemblance ne va point jusqu’à l’égalité, parce que nous ne le connaissons point dans toute l’étendue de son être. Et de même que quand nous nommons les corps par le sens corporel, il s’en forme dans notre âme une certaine ressemblance, qui est un jeu de la mémoire ; — car les corps eux-mêmes ne sont nullement dans l’âme, lorsque nous y pensons, mais seulement leurs ressemblances ; tellement que l’erreur consiste à prendre leurs images pour eux, le propre de l’erreur étant d’approuver une chose pour une autre ; et néanmoins la représentation d’un corps dans l’âme l’emporte sur le corps lui-même, puisqu’elle est dans une substance supérieure, c’est-à-dire dans une substance vivante, qui est l’âme ; — ainsi, dis-je, quand nous connaissons Dieu, tout en devenant meilleurs que nous n’étions avant de le connaître, surtout quand cette connaissance agréée et dignement goûtée, devient parole et nous donne quelque ressemblance avec lui : cependant elle est inférieure à Dieu, parce qu’elle est dans une nature inférieure, vu que l’âme est créature et que Dieu est créateur. D’où il faut conclure que quand l’âme se connaît et s’approuve elle-même, sa connaissance devient sa parole, mais parole absolument pareille, égale et identique, puisqu’elle n’est pas la connaissance d’une nature inférieure, comme serait celle d’un corps, ni d’une nature supérieure, comme l’est celle de Dieu. Et la connaissance ayant une ressemblance avec la chose même qu’elle connaît, c’est-à-dire dont elle est la connaissance, elle l’a ici, parfaite et égale à