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paroles, soit pour approuver, soit pour désapprouver la conduite des hommes, rien, dis-je, que nous n’ayons d’abord produit en nous par la parole intérieure. Car personne ne fait volontairement que ce qu’il a d’abord dit dans son propre cœur.

13. Or, cette parole est conçue ou par l’amour de la créature ou par l’amour du Créateur, c’est-à-dire de la nature changeante ou de l’immuable vérité.


CHAPITRE VIII. DIFFÉRENCE ENTRE LA CUPIDITÉ OU LA PASSION ET LA CHARITÉ.


On agit donc par passion ou par charité ; non qu’il ne faille pas aimer la créature ; muais si cet amour se rapporte au Créateur, ce n’est plus passion, mais charité. Ainsi il y a passion, quand on aime la créature pour soi. En ce cas elle n’est plus utile à celui qui en use, mais gâte celui qui en jouit. Ou la créature nous est égale, ou elle nous est inférieure ; dans le second cas, il faut en user pour Dieu, dans le premier, en jouir en Dieu. En effet, de même que tu dois jouir de toi-même, non en toi-même, mais dans celui qui t’a fait ; ainsi en doit-il être vis-à-vis de celui que tu aimes comme toi-même. Jouissons donc de nous et de nos frères dans le Seigneur, et ne soyons pas assez téméraires pour nous abandonner nous-mêmes à nous-mêmes, et nous pencher pour ainsi dire, en bas. Or, la parole réfléchie et agréée, naît.pour faire le bien ou le mal. L’amour est donc comme un intermédiaire entre notre parole et l’âme qui l’engendre, et il s’unit à elles deux, lui troisième, par un embrassement spirituel, sans aucune confusion.


CHAPITRE IX. DANS L’AMOUR DES CHOSES SPIRITUELLES, LA PAROLE NAÎT EN MÊME TEMPS QU’ELLE EST CONÇUE. IL N’EN EST PAS DE MÊME DES CHOSES CHARNELLES.


14. Or la conception et la naissance de la parole sont la même chose, quand la volonté trouve son repos dans la connaissance, comme il arrive dans l’amour des choses spirituelles. Ainsi, par exemple, celui qui connaît et aime parfaitement la justice est déjà juste, même quand il n’y a pas nécessité d’agir selon la justice, par un acte extérieur du corps. Mais dans l’amour des choses charnelles et temporelles, il en est comme dans les enfantements des animaux : autre est la conception de la parole, autre son enfantement. En effet, ce qui se conçoit par le désir, naît par la réalisation. Ainsi il ne suffit pas à l’avarice de connaître et d’aimer l’or, il faut qu’elle le possède ; ce n’est pas assez de connaître et d’aimer la nourriture et l’union charnelle, si l’acte ne s’ensuit ; ni de connaître et d’aimer les honneurs et les charges, à moins qu’on ne les obtienne. Et quand tout cela est obtenu, cela ne suffit pas encore. « Celui qui boira de cette eau », dit Jésus-Christ, « aura encore soif (Jean, IV, 13 ) ». Aussi le psalmiste disait : « Il a conçu la douleur et enfanté l’iniquité (Ps., VIII, 15 ) ». Il appelle concevoir la douleur ou le travail, quand on conçoit des choses qu’il ne suffit pas de connaître et de vouloir, vu que l’âme brûle d’ardeur et souffre d’indigence, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à son but et qu’elle ait comme enfanté l’objet de ses désirs. Ce qui rend si justes ces mots de la langue latine : « parta, reperta, comperta ( Acquis ( et aussi enfanté), trouvé, découvert.) » qui semblent tous dériver du mot « partus (Enfantement ( et aussi acquis ) ».Car « la concupiscence, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché ( Jac. I, 15 ) ». Aussi le Seigneur s’écrie-t-il « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés ( Matt., XI, 28 ) », et ailleurs : « Malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là (Id., XXIV, 19. ). Il dit encore,,en rapportant à l’enfantement de la parole toutes les actions bonnes ou mauvaises : « C’est par ta bouche que tu seras justifié et par ta bouche que tu seras condamné (Id., XII, 3 ) » entendons ici par bouche, non pas celle qui est visible, mais la bouche intérieure de la pensée et du cœur.


CHAPITRE X. LA CONNAISSANCE ACCOMPAGNÉE D’AMOUR EST-ELLE SEULE LA PAROLE DE L’AME ?



15. On demande, et avec raison, si toute connaissance est parole, ou seulement la connaissance accompagnée d’amour. Car nous connaissons aussi ce que nous haïssons ; mais on ne peut dire des choses qui nous déplaisent, qu’elles soient conçues ou enfantées par l’âme. En effet, tout ce qui nous touche d’une manière quelconque, n’est pas conçu pour autant ; il est des choses qui sont simplement connues