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apparaît et brille d’en haut, et appuie son droit sur les règles de l’impartialité la plus parfaite ; et si les images corporelles essaient de soulever comme une espèce de brouillard, il s’en dégage et ne s’y confond point.

11. Mais la question est de savoir si je suis moi-même enveloppé de ce brouillard et privé de la vue du ciel pur ; ou si, comme il arrive au sommet des plus hautes montagnes, suspendu entre ciel et terre, je jouis de l’air libre, ne voyant au-dessus de moi que la lumière sans nuages, et au-dessous de moi que les plus épaisses ténèbres. Par exemple, d’où vient en moi cette flamme d’amour fraternel, quand j’entends dire d’un homme qu’il a souffert les plus cruels tourments pour soutenir la beauté et la solidité de la foi ? Et si on me l’indique du doigt, je désire m’unir à lui, le faire connaître, former avec lui des liens d’amitié. Si cela m’est possible, je m’en approche, je lui parle, je noue un entretien, je lui exprime mon affection le mieux possible, je souhaite vivement qu’il me paie de retour et me le dise ; par la foi, j e m’efforce de l’embrasser en esprit, ne pouvant si vite pénétrer dans son intérieur et y lire à fond. J’aime donc d’un amour pur et fraternel un homme fidèle et courageux. Mais si, dans le cours de notre conversation, il m’avoue ou me laisse imprudemment entrevoir qu’il croit de Dieu des choses indignes, qu’il cherche en lui quelque avantage charnel, et qu’il n’a subi des tourments que pour soutenir telle ou telle erreur, ou dans l’espoir de gagner de l’argent, ou par la stérile ambition de la louange humaine aussitôt mon amour pour lui, blessé, refoulé pour ainsi dire, et retiré à un sujet indigne, se maintient pourtant dans le type d’après lequel j’aimais un homme que je lui croyais conforme ; à moins peut-être que je ne l’aime encore pour qu’il devienne tel, quand j’ai découvert qu’il ne l’est pas. Néanmoins dans cet homme rien n’est changé ; cependant il peut changer pour devenir ce que je le croyais d’abord. Mais dans mon âme, l’opinion est entièrement changée ; elle n’est plus ce qu’elle était ; la même affection est passée du désir de jouir au désir d’être utile, en vertu d’un ordre de la souveraine et immuable justice. Et ce type d’inébranlable et ferme vérité, d’après lequel j’aurais joui de cet homme en le croyant bon, et d’après lequel je travaille à le rendre boni ce type, dis-je, répand de son immuable éternité, la même lumière sur l’œil de mon âme, de ma pure et incorruptible raison, et sur le brouillard de mon imagination, que je ne vois plus maintenant que de haut, quand le souvenir de ce même homme me revient à l’esprit. De même, quand je me rappelle un arc élégamment et régulièrement tendu, que j’ai vu, par exemple, à Carthage, mon imagination me retrace un objet qui est arrivé à mon âme par l’entremise des yeux, et s’est fixé dans ma mémoire. Mais ce que je vois et qui me plaît, est autre que l’objet même, et je le corrigerais, s’il me déplaisait. Nous jugeons donc de tout cela d’après ce même type éternel, et nous voyons- ce type par la lumière de la raison.Quant aux objets corporels, ou nous les voyons présentement des yeux du corps, ou nous nous rappelons leurs images gravées en notre mémoire, ou nous nous les figurons par analogie tels que nous les formerions nous-mêmes, si nous le voulions et le pouvions : d’une part, créant dans notre esprit des images matérielles, ou voyant des corps par l’intermédiaire de notre corps ; d’autre part, saisissant, par le simple coup d’œil de l’intelligence, les raisons et le type ineffablement beau de ces figures, lesquels dépassent le regard de notre âme.


CHAPITRE VII. NOUS CONCEVONS ET ENGENDRONS LA PAROLE INTÉRIEUREMENT D’APRÈS DES TYPES VUS DANS LA VÉRITÉ ÉTERNELLE. LA PAROLE EST CONÇUE PAR L’AMOUR DU CRÉATEUR OU DE LA CRÉATURE.


12. C’est donc dans cette vérité éternelle, par qui tout a été fait dans le temps, que nous voyons, par les yeux de l’esprit, la forme d’après laquelle nous sommes, et d’après laquelle nous agissons, ou en nous ou dans les corps, selon la vraie et droite raison ; et cette connaissance vraie des choses, elle est conçue en nous comme une parole que nous engendrons en parlant intérieurement, et qui, tout en naissant, ne se sépare point de nous. Mais quand nous parlons à d’autres, à la parole qui reste en nous nous ajoutons le ministère de la voix ou de quelque signe corporel, afin de produire par quelque moyen sensible, dans l’âme de l’auditeur, quelque chose de semblable à ce qui reste dans l’âme de celui qui parle. Nous ne faisons donc rien par les membres de notre corps ni en actions ni en