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voir et dire ce que c’est qu’une âme juste. Mais comment deviendront-ils justes, sinon en s’attachant au modèle qu’ils voient, pour le reproduire eux-mêmes et devenir des âmes justes : ne se contentant pas de voir et de dire que l’âme juste est celle qui réglant sa vie et ses mœurs par le science et la raison, rend à chacun ce qui lui est dû, mais réglant eux-mêmes leur vie et leurs mœurs sur la justice, en rendant à chacun ce qui lui est dû, de manière à ne devoir rien à personne, sinon de s’aimer mutuellement (Rom., XIII, 8 ) ? Et comment s’attache-t-on à ce modèle, sinon par l’amour ? Pourquoi donc aimons-nous un homme que nous croyons juste et n’aimons-nous pas le type même par lequel nous voyons ce que c’est que l’âme juste, afin de devenir justes nous-mêmes ? Serait-ce que si nous n’aimions pas ce type, nous n’aimerions pas celui que nous aimons parce qu’il lui est conforme ; et que tant que nous ne sommes pas justes, nous n’aimons pas assez ce type pour devenir justes nous-mêmes ? L’homme que l’on croit juste est donc aimé d’après le type et la vérité que celui qui l’aime voit et retrouve en son propre fond ; mais il n’est pas possible d’aimer ce type et cette vérité par un motif qui leur soit étranger. Hors d’eux, en effet, hors de leur connaissance, nous ne trouvons rien qui nous les fasse aimer par la foi et par analogie à quelque autre chose que nous connaissons. En effet, tout ce que nous verrons de semblable à ce type, c’est ce type même, et rien ne lui ressemble parce que, seul, il est tel qu’il est. Donc celui qui aime les hommes doit les aimer parce qu’ils sont justes, ou pour qu’ils le deviennent. Car il doit ainsi s’aimer lui-même de cette façon : ou parce qu’il est juste ou pour le devenir ; alors seulement il pourra sans danger aimer son prochain comme lui-même. Celui qui s’aime autrement, s’aime injustement, puisqu’il s’aime pour devenir injuste, par conséquent pour être mauvais ; et par là même il ne s’aime pas : car « celui qui aime l’iniquité, hait son âme (Ps., X, 6 ) ».


CHAPITRE VII.

DU VÉRITABLE AMOUR PAR LE QUEL ON PARVIENT A LA CONNAISSANCE DE LA TRINITÉ. IL FAUT CHERCHER DIEU, EN IMITANT LA PIÉTÉ DES BONS ANGES.

10. Ainsi, dans la question de la Trinité et de la connaissance de Dieu, qui nous occupe, le point principal est de savoir ce que c’est que le véritable amour, ou même ce que c’est que l’amour. On ne peut en effet donner le nom d’amour qu’au véritable amour, autrement c’est la passion. C’est donc par abus qu’on donne à la passion le nom d’amour, et à l’amour le nom de passion. Or, ce véritable amour consiste à s’attacher à la vérité pour vivre selon la justice, et par conséquent à dédaigner toutes les choses passagères par amour pour les hommes, par le désir de les voir vivre selon la justice. Nous pourrons alors être prêts à mourir utilement pour nos frères, suivant l’exemple que nous en a donné Notre-Seigneur Jésus-Christ. En effet comme toute la loi et les prophètes se rattachent aux deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain (Matt., XXII, 37-40 ), ce n’est pas sans raison que l’Ecriture met souvent l’un pour l’autre : tantôt elle ne mentionne que l’amour de Dieu, comme dans ce texte : « Nous savons que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu (Rom., VIII, 28 ) » ; et encore : « Si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de lui (I Cor., VIII, 3. ) » ; et ailleurs : « Parce que la charité de Dieu est répandue en nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom., V, 5 ) », et dans une foule d’autres passages : la conséquence étant que celui qui aime Dieu fait ce que Dieu commande, et s’aime dans la proportion où il le fait, et par conséquent aime le prochain puisque Dieu en a donné l’ordre. Tantôt l’Ecriture ne parle que de l’amour du prochain, comme ici : « Portez les fardeaux les uns des autres, et c’est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ (Gal., VI, 2 ) », et encore : « Car toute la loi est renfermée dans une seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Id., V, 14 ) » ; et dans l’Evangile : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi ; car c’est la loi et les prophètes (Matt., VII, 12. ) ». Dans beaucoup d’autres passages de ce genre, nous voyons que les saintes lettres semblent ne rattacher la perfection qu’à l’amour du prochain, en passant sous silence l’amour de Dieu, quoique la loi et les prophètes se rattachent à ces deux préceptes. Mais la raison en est que celui qui aime son prochain, aime avant tout l’amour lui-même. « Or, Dieu est amour, et qui demeure dans l’amour demeure en Dieu